Étudier la culture numérique

Après avoir poussé un soupir en fin d’année dernière, j’ai tout laissé décanter. Les derniers mois, du point de vue littérature+technologie, ont été le lieu d’un bouillonnement intense, ce qui m’a conduit à un éparpillement dans diverses pistes toutes plus intéressantes/stimulantes les unes que les autres. Difficile de ne pas être fasciné par l’émergence concrète des livres électroniques, par la montée des digital humanities, par la diffusion numérique des œuvres littéraires, par les moyens qu’offre la technologie à l’exercice des études littéraires…

J’essaie, pour moi-même d’abord et avant tout, de faire un peu de ménage dans tout ça. Quelques observations et questions commencent à émerger :

  • les champs d’intervention regroupés sous l’étiquette du « numérique » sont infiniment larges et multiples et ne peuvent être fondus en une seule approche ou problématique générale ;
  • les acteurs impliqués dans ces champs se parlent a priori très peu (les bulles sont assez incroyablement résistantes, surtout lorsqu’elles calquent les silos pré-numériques : libraires, éditeurs, directeurs de revues scientifiques, auteurs/créateurs, distributeurs, universitaires (de champs disciplinaires divers), programmeurs, graphistes…) ;
  • du point de vue du chercheur universitaire, il est difficile de se mailler aux réflexions de terrain : c’est sûrement le lieu d’une observation directe sur les mutations en cours (je pense notamment aux bookcamps), mais quel apport possible à cette mouvance souvent ancrée dans des impératifs commerciaux ou techniques ?
  • pour avoir récemment suivi d’un peu plus près les initiatives du champ des digital humanities (à titre d’exemple plus inscrit dans le temps : la rédaction et la diffusion du manifeste des DH dans le sillage du ThatCAMP Paris, en mai dernier), je reste aujourd’hui avec une certaine insatisfaction (merci à Louis É. pour le dialogue qui m’a aidé à mettre le doigt sur ce qui m’irritait) : l’exercice des DH est présentement marqué par une fascination techniciste qui fait souvent perdre de vue les objets au profit de la méthode, qui permet aux techniques d’escamoter les faits culturels… mais loin de moi de vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain, car l’avancement de ces méthodes est précieux! il faut dire que ce type de décentrement est courant lors de la mise en place de nouvelles approches, de nouvelles méthodologies — mais le renouvellement constant de la technologie me fait craindre le report constant d’une bascule inverse vers les objets, où les méthodes informatiquement assistées reprendront leur rôle d’appui à la recherche.

    Alors quoi maintenant ? Se réfugier dans les terres confortables ? Très peu pour moi. Plutôt essayer, se tromper, moduler, travailler à comprendre. Réflexe de chercheur, évidemment (comme celui de faire des tableaux, cf. plus bas), mais qui est conséquent de la distance que j’ai par rapport aux objets.

    Donc se lancer : comment organiser toutes ces alvéoles de la question numérique concernant la culture ? je n’ai pas la prétention de tout saisir. À tout le moins commencer par ce qui m’est davantage connu. Première tentative (cliquer sur l’image) :

    Premier effort : tenter de distinguer où s’insère le numérique… dans les outils pour parler de la culture ou dans les manifestations culturelles elles-mêmes. En émerge un postulat fondateur (le mien, à tout le moins) : la culture numérique, c’est autant la culture étudiée par le numérique (l’étude numérique de la culture) que l’étude de la culture en contexte numérique (la culture empreinte par le numérique).

    Deuxième effort : distinguer ce qui retient l’attention. D’où cet appel aux catégories canoniques de la création, de l’œuvre et de sa réception (qui sont peu conséquentes, je le concède, du brouillage actuel entre écriture et lecture, dans un processus qui n’est plus aussi rectiligne, cela va de soi <tentative d’éviter les rebuffades>). Découpage imparfait, mais qui permet de mettre en lumière que certains champs ont une amplitude très grande, d’autres qui ont un focus très restreint.

    Commentaires liés :

    • Évidemment, la séparation en six sous-domaines est contingente… C’est ma vision, pas nécessairement légitime (à titre d’exemple : mon intérêt pour la diffusion des contenus de la recherche me fait joindre la case du milieu, colonne de droite, qui n’a pas de lien très justifiable avec le portrait du volet littérature que je prétends dresser).
    • Découpage : il est imparfait parce que les sous-domaines se chevauchent inévitablement… Faire une catégorie avec les liseuses, c’est restreindre à une dimension technique qui est intimement liée à l’examen des modalités de sociabilité qui entourent la lecture en contexte numérique, qui est aussi liée à l’édition numérique (entendue ici comme la distribution numérique d’œuvres qui ne sont pas marquées par des fonctionnalités hypermédiatiques), etc.
    • Comme je parle avec la lunette du chercheur, le regard distant (l’étude sur…) est nécessaire dans tous les cas de figure. Et corollairement, cette flèche pourrait être en bleu dans les six schémas : la diffusion des études est toujours possible numériquement. J’ai simplement voulu montrer en quoi le processus d’étude était d’emblée numériquement déterminé.

      À quoi cela me servira-t-il ? À me rappeler que ces vases sont communicants, d’une façon ou d’une autre, mais que les déterminants internes sont forts et contraignants. À jeter un regard englobant sur l’ensemble du champ, aussi éclaté soit-il. À affirmer l’existence d’une culture numérique, qu’il faut repérer, saisir et étudier. Individuellement et collectivement (volontaires, manifestez-vous !).

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      Séditions : les points aveugles du territoire éditorial

      sédition

      En périphérie du colloque « Édition et sédition aujourd’hui », nous organisons, Patrick Tillard et moi, une table ronde sur les enjeux de la marginalité éditoriale, de ses points aveugles et de ses zones franches. Bienvenue à tous !

      Table ronde « Séditions. Les points aveugles du territoire éditorial »

      Avec :

      François Bon, écrivain / éditeur, publie.net

      Jean-François Chételat, Robert ne veut pas lire

      Richard Gingras, librairie Chercheur de trésors et revue Steak haché

      Normand Landry, doctorant à McGill sur les SLAPP

      Nicolas Langelier, P45

      Jasmin Miville-Allard, Conspiration dépressionniste

      Bernard Sanschagrin, librairie L’insoumise

      Table ronde animée par René Audet et Patrick Tillard.

      L’événement se tient dans les locaux du Laboratoire NT2, à 17h30.

      (405, boul. de Maisonneuve Est, local B-2300 ; métro Berri-UQAM)

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      Édition et sédition aujourd’hui : acteurs, techniques, enjeux

      Colloque que je coorganise à l’ACFAS vendredi 14 mai, conjointement avec Patrick Tillard. Inscription à l’ACFAS (dite) obligatoire.

      Édition et sédition aujourd’hui :
      acteurs, techniques, enjeux

      Vendredi 14 mai 2010

      Université de Montréal, pavillon Marie-Victorin, salle A544

      Responsables

      René AUDET, Université Laval

      Patrick TILLARD, Université Laval


      La sédition et l’édition se sont toujours côtoyées dans l’histoire du livre. La sédition utilise le texte pour s’opposer à l’État, à ses institutions, à son idéologie ; elle appelle à la révolte mais aussi au contournement de la voie officielle. « Samizdat », « Dazibao » et littérature clandestine du XVIIIe siècle ont suscité de nombreuses analyses, mais la sédition à l’époque contemporaine est moins connue. Cette ignorance, peut-être faussée par l’évidence quasi impassible du territoire littéraire officiel, évacue sa propre dévalorisation et les répercussions des tensions sociales sur son territoire. Pourtant, des formes de sédition dénoncent l’aveuglement de la pensée éditoriale actuelle ; elles dévoilent les rigueurs de la législation éditoriale et contestent la médiatisation littéraire.

      André Schiffrin rappelle que si le contrôle de la parole des gigantesques multinationales issues de spectaculaires rapprochements limite effectivement la liberté d’expression, l’édition est particulièrement concernée. Sommée de privilégier la rentabilité plutôt que la liberté critique et créatrice, l’édition annonce à terme la défaite de l’écrit. La globalisation idéologique et économique dénature les idéaux liés au livre (l’humanisme de la Renaissance, la démocratie et l’esprit de résistance et d’investigation des Lumières) pour servir une domination qui « peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor » (Guy Debord).

      Les espaces de contestation, lorsqu’ils ne sont pas dévalués par des emballages chatoyants, se réduisent dangereusement et encouragent simultanément à la clandestinité. Il ne sera pas surprenant de trouver ailleurs des tentatives pour affirmer le sens perdu de mots pétrifiés. Parfois dans des cercles et des territoires marginalisés ou libertaires, ou dans une culture parallèle qui cherche ses marques, coexistent des sentiers littéraires (poésie, théâtre, fictions, essais) où des textes tentent de penser subversivement un réel qui échappe.

      Livres, plaquettes, brochures dépourvus d’ISBN et de dépôt légal, production photocopiée ou impri-mée, puis diffusée dans des réseaux informels, dans des rassemblements de contestations, sous le manteau de quelques librairies, ou bien textes divers et blogs du Web, la sédition se manifeste sans se structurer dans des formes et une inventivité neuve comme si les langages rédigés s’articulaient en occupant des espaces laissés vides, oubliés, mais fourmillants de vie. La capillarité de ses réseaux informels remplace-t-elle l’ancien réseau d’imprimeurs clandestins, de colporteurs et de libraires identifiés par Robert Darnton dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ? À leur tour, les publications sur le web permettent-ils une véritable internationalisation de cette littérature ? Diversité culturelle et transnationalité peuvent devenir des éléments dynamisant en termes de réception et d’échanges.

      Quels sont alors les enjeux de la subversion qui se cherche et qui se construit dans ces anfractuosités ? Quels sont ses thèmes et ses objets ? Et quels piliers affronte-elle ?

      Le support (numérique, livre) permet-il de donner un sens et un écho nouveaux à cette « littérature clandestine », à cette littérature qui se revendique plus libre et se veut débarrassée des contraintes professionnelles et de l’encadrement législatif ?

      Qu’exprime la subversion enclose dans ces textes par rapport à la littérature, à sa capacité de représenter et réfléchir le monde ?

      Enfin, pourquoi une certaine qualité de sédition interpelle-t-elle le territoire éditorial ? Sous quelles façons et que refusent-elles en lui ?

      Programme :

      Séance de la matinée : « Nouveaux positionnements, nouvelles prises de parole »

      Présidence/animation : René Audet, Université Laval

      9h00 — Patrick TILLARD, Université Laval

      Ordre et territoires de l’édition contemporaine

      9h30 — Alain DENEAULT, UQAM

      L’accès à la justice comme condition d’accès à la parole publique

      10h30 — Paul ARON, Université libre de Bruxelles

      La mise au net favorise-t-elle la sédition? Le cas des revues littéraires en ligne

      11h00 — François BON, écrivain / éditeur publie.net

      De la littérature comme éco-système, et de ses conséquences numériques

      Séance de l’après-midi : « Institution, marge et écriture »

      Présidence/animation : Patrick TILLARD, Université Laval

      13h30 — Marie-Andrée BERGERON, Université Laval

      Variations du discours des féministes québécoises : De Québécoises deboutte ! (1971) à www.jesuisfeministe.com (2008)

      14h00 — Jean-Benoît PUECH, écrivain / Université d’Orléans

      L’Inédiste infidèle

      15h00 — Dominic HARDY, UQAM

      « Just watch me » : l’artiste pluridisciplinaire Dennis Tourbin (1946-1998) et la Crise d’Octobre au Canada

      15h30 — René AUDET, Université Laval

      Synthèse du colloque : quelles manifestations, quelle importance de la sédition aujourd’hui ?

      *** Addenda (10 mai) : Jean-Benoît Puech ne pourra être présent au colloque pour des raisons personnelles.
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      Creuseur d’ombre

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      « Creuseur d’ombre» : belle expression trouvée chez Nicolas Rithi Dion, relayée par Mahigan. Étonnant comment ça vient relier des réflexions, tout l’après-midi durant, sur le présent des écritures contemporaines. Idée d’étrangeté — le sujet contemporain qui doit se constituer comme étranger à lui-même, façon de dire que le monde est exotique pour ses propres habitants (Mathilde). Idée de distance — Agamben (évoqué par Daniel) disant que le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l’obscurité. Idée d’écart — l’écriture contemporaine appelant, selon François, de se couper du bruit du monde, de se vivre comme écart.

      L’écart, c’est celui du langage — le langage qui ne réussit pas à se substituer à l’objet chez Ponge, la théorie (comme métalangage) qui ne réussit pas à rendre compte totalement de l’expérience du langage (merci à Stéphane). Le présent appelle la nécessité de creuser cet écart, car le réel à représenter n’a pas la patine des âges, il n’est pas déjà mis à distance — un avantage, oui, en quelque sorte, comme le souligne Mahigan : nous n’avons pas besoin de faire abstraction des constructions, des représentations ultérieures pour s’en emparer. Mais là s’impose davantage la nécessité du langage, pour qu’advienne ce réel sous l’impulsion du geste de nommer, de décrire, d’inscrire dans une événementialité, aussi ponctuelle soit-elle.

      L’emprise sur le présent, sur le réel est donc toujours une dérive, un déplacement. Refuser la transparence, la photo en pleine lumière, préférer ce que le réel projette, ce qu’il cache dans son ombre.

      (photo : « Digging in the Dark », Wessex Archaeology, licence CC)

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      Tentative de veille numérique

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      Ca faisait longtemps que je me disais qu’il y avait sûrement moyen de faire une veille simple de la documentation scientifique sur la littérature contemporaine. L’idée d’avoir à tout repiquer me semble de plus en plus anachronique. Comment automatiser le plus possible ?

      Tentative ici de bricolage : je mets un signet dans Diigo avec un tag spécifique ; je repique le RSS du tag pour l’inscrire dans un wiki qui permet de visualiser les feeds rss… tout simplement ? oui… reste à être fidèle à l’habitude de capturer les infos repérées au passage.

      Vous pouvez suivre la page (vraiment moche graphiquement, oui…) pour voir les nouveautés, ou encore vous abonner au RSS des sections qui vous intéressent (ou consulter la page sur Diigo pour chacune de ces sections). Commentaires bienvenus (voire propositions de personnes intéressées à contribuer à cette veille).

      (photo : « loupe et lettres », alainbachellier, licence CC)

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