« Creuseur d’ombre» : belle expression trouvée chez Nicolas Rithi Dion, relayée par Mahigan. Étonnant comment ça vient relier des réflexions, tout l’après-midi durant, sur le présent des écritures contemporaines. Idée d’étrangeté — le sujet contemporain qui doit se constituer comme étranger à lui-même, façon de dire que le monde est exotique pour ses propres habitants (Mathilde). Idée de distance — Agamben (évoqué par Daniel) disant que le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l’obscurité. Idée d’écart — l’écriture contemporaine appelant, selon François, de se couper du bruit du monde, de se vivre comme écart.
L’écart, c’est celui du langage — le langage qui ne réussit pas à se substituer à l’objet chez Ponge, la théorie (comme métalangage) qui ne réussit pas à rendre compte totalement de l’expérience du langage (merci à Stéphane). Le présent appelle la nécessité de creuser cet écart, car le réel à représenter n’a pas la patine des âges, il n’est pas déjà mis à distance — un avantage, oui, en quelque sorte, comme le souligne Mahigan : nous n’avons pas besoin de faire abstraction des constructions, des représentations ultérieures pour s’en emparer. Mais là s’impose davantage la nécessité du langage, pour qu’advienne ce réel sous l’impulsion du geste de nommer, de décrire, d’inscrire dans une événementialité, aussi ponctuelle soit-elle.
L’emprise sur le présent, sur le réel est donc toujours une dérive, un déplacement. Refuser la transparence, la photo en pleine lumière, préférer ce que le réel projette, ce qu’il cache dans son ombre.
(photo : « Digging in the Dark », Wessex Archaeology, licence CC)