Enrique Vila-Matas — Les masques de la fiction dans le roman contemporain

affiche-pt.jpgJ’organise une journée d’étude sur l’écrivain contemporain Enrique Vila-Matas. Événement sympathique mais déterminant : à peu près rien n’a été écrit (encore!) sur Vila-Matas en français.     

  

  

Journée d’étude Les masques de la fiction dans le roman contemporain — Enrique Vila-Matas

Le lundi 9 juin 2008

Café Au Temps perdu, 867, avenue Myrand, 2e étage, Québec

Entrée libre

Dès 9h30 

 

Cette journée est consacrée à l’étude des usages et fonctions de la fiction dans le roman contemporain : masque ou miroir déformant de la réalité, fabulation et autofabulation, moteur narratif ou abîme discursif… Le roman diffractant la mobilisation de la fiction à travers différents processus, à travers différentes démarches esthétiques, il apparaît comme un laboratoire privilégié pour une réflexion sur le paramètre fondamental de la fiction. Une telle réflexion sera appliquée au cas singulier d’Enrique Vila-Matas, écrivain espagnol contemporain, dont la production narrative et essayistique convoque ces enjeux de façon fascinante. Les communications portent sur la question de la fiction modulée par les pratiques contemporaines, en prenant appui sur une ou des œuvres de Vila-Matas.

Enrique Vila-Matas est un écrivain espagnol né à Barcelone en 1948. Son œuvre est dense, elle compte des romans, des recueils de nouvelles et d’essais. Animé par un questionnement qui se positionne aux confins d’un imaginaire à demi-fictionnel, l’écrivain offre l’une des narrations les plus effervescentes parmi les écritures contemporaines. Malgré une grande diversité de récits, de personnages distincts, de formes explorées, son oeuvre fait montre d’un fort réseau thématique, dévoilant une logique qui gravite autours des mêmes obsessions, dont la mort, l’écriture et sa nécessité.

 

 

PROGRAMME

Matinée

Charline Pluvinet (Université Rennes 2) « Disparaître dans la fiction : la traversée du miroir du Docteur Pasavento »

René Audet (Université Laval) « Si par un mal étrange est atteint un personnage : raconter en dépit de la fiction »

Annie Rioux et Simon Brousseau (Université Laval) « Quand la littérature se souvient d’elle-même : les masques d’une mémoire française dans Paris ne finit jamais d’Enrique Vila-Matas »

Après-midi

Viviane Asselin et Geneviève Dufour (Université Laval) « Étrange façon de raconter, la narrativité du discours dans Étrange façon de vivre »

 

Patrick Tillard (Université du Québec à Montréal) « Enrique Vila-Matas, un explorateur qui avance vers le vide »

 

Emmanuel Bouju (Université Rennes 2) « Enrique Vila-Matas sur la ligne d’ombre. Masque de la citation et racine de la réalité »  

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Le rôle de la critique

criticArts & Letters Daily me pointe ce matin une recension d’un récent ouvrage, The Death of the Critic, qui ose ramener le débat sur le rôle à jouer par les critiques littéraires dans l’évaluation des œuvres contemporaines — toute la question de la valeur. Refusant le désengagement couramment prôné (sur la base de l’argument que l’opinion de l’un vaut bien celle de l’autre), Rónán McDonald tient un discours étonnant (dans son articulation) sur le rapport entre le jugement provenant de la Tour d’ivoire et la construction d’une opinion commune sur les œuvres (dans les mots de John Mullan, auteur de la recension):

[McDonald] argues that the demise of critical expertise brings not a liberating democracy of taste, but conservatism and repetition. “The death of the critic” leads not to the sometimes vaunted “empowerment” of the reader, but to “a dearth of choice”. It is hardly a surprise to find him taking issue with John Carey’s anti-elitist What Good Are the Arts? (2005), with its argument that one person’s aesthetic judgement cannot be better or worse than another’s, making taste an entirely individual matter. McDonald proposes that cultural value judgements, while not objective, are shared, communal, consensual and therefore open to agreement as well as dispute. But the critics who could help us to reach shared evaluations have opted out. The distance between Ivory Tower and Grub Street has never been greater.

Comme le signale Mullan, une grande qualité de cette réflexion réside probablement dans la nuance et l’ouverture de McDonald. Ainsi tend-il à condamner non pas tant le structuralisme et le post-structuralisme (comme sources de la défection de la critique littéraire sur la question de la valeur) que les cultural studies — mais le fait-il encore en prenant garde de ne pas condamner unilatéralement :

Cultural studies may have been anti-elitist, refusing distinctions between high and low, proper and popular, but it doomed the academic to irrelevance outside the academy. “If criticism forsakes evaluation, it also loses its connections with a wider public.” He is a tolerant enemy to anti-evaluative criticism. Reviewing the rise of Cultural Studies, he even concedes that it might for a while have been salutary to have “an amnesty on the idea of objective quality”. Neglected works and unheard voices have been recovered. Even though he dislikes Cultural Studies, McDonald relishes much that we would call “popular culture”, and clearly believes that cinema, television and pop music deserve good critics too.

Si on avait déjà vu poindre de nouveau la réflexion sur la valeur dans le domaine francophone (ici et ), il faut se réjouir de cette ouverture dans la chamboulée sphère anglo-saxonne.

Difficile par ailleurs de ne pas voir dans ce retour vers la compétence des littéraires une confirmation de la nécessité, dans le déluge informationnel et discursif contemporain, de ressources agissant comme des filtres — de la bibliothéconomie aux carnets scientifiques. Retour qui se fait avec toute la circonspection utile, avec un besoin non pas d’autorités absolues (toutes sont relativisées, à coup sûr) mais de guides, dont on connaîtra avec profit les biais et les allégeances.

(photo : « everyone’s a critic », jontintinjordan, licence CC)

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Numériques de souche ou de formation ?

bébé ordiLe récent article d’Ana, sur la place de la technologie dans les musées, me ramène à des articles du mois de décembre que j’avais marqués d’un drapeau — toute une polémique sur les digital natives et les digital immigrants. La question que pose Ana est celle de l’accommodement que les musées pourraient faire à l’intention de leur jeune public, apparemment des digital natives (des gens ayant toujours vécu avec la technologie dans leur vie, et donc avec une relation à leur environnement qui dépend à peu près totalement de l’interface de la technologie). Elle place sa réflexion dans le contexte d’une étude qui vient remettre en question ce lieu commun :

Tout ce texte, pour en venir à vous partager une étude de la British Library au sujet de la Google generation : Information behaviour of the researcher of the future (pdf).

Ce document présente tant les idées reçues au sujet de cette génération Internet que le résultat de l’étude. Plusieurs perceptions que nous développions de façon « automatique » deviennent des mythes et c’est pour le mieux de l’avenir des musées. À la lecture de l’étude, j’en conclus qu’il n’est pas automatique que les jeunes d’aujourd’hui intègrent tous les tenants et les aboutissants de cette nouvelle ère numérique, même s’ils en sont natifs et probablement des usagers plus fluides que les plus âgés.

Prudence donc, car cette impression de la maîtrise quasi-innée de la technologie doit être révisée. Le débat a été lancé par Henri Jenkins (sous une forme nuancée, parlant du danger d’oublier les variations d’accessibilité aux technologies, d’un digital divide). Puis il a été doublement relayé par Siva Vaidhyanathan, qui insiste beaucoup (trop) sur la non-pertinence de la notion de génération, mais qui se rattrape en disant qu’il n’y a rien à gagner à généraliser cette apparente opposition entre digital native et digital immigrant.

Ce qui apparaît se démarquer, c’est le mythe autour de l’utilisation des technologies. Et c’est un mythe dont l’inexactitude se vérifie au quotidien (j’en témoigne personnellement, voyant mes étudiants faire un usage commun de Facebook mais ne sachant toujours pas faire un saut de page dans un traitement de texte). Il faut remettre les pendules à l’heure sur le rapport avec la technologie, en particulier sur la complexité de ce rapport.

1. Il paraît évident qu’il y a une aisance qui vient avec un médium lorsque celui-ci a été fortement présent au moment des années d’apprentissage les plus fulgurantes (fin de l’enfance et première moitié de l’adolescence — un psycho-cognitiviste dans la salle pour confirmer ?). L’analyse de plusieurs générations au vingtième siècle l’illustrerait sûrement avec force.

2. Il faut en revanche admettre qu’il n’y a aucun caractère inné à l’usage des technologies. Certaines interfaces tablent davantage sur des processus cognitifs courants et réduisent le gap technologique, oui. Mais il y a toujours une étrangeté à apprivoiser, une distance à franchir. Et des apprentissages sont nécessaires.

3. À l’image des objets qui nous intéressent, dont le rythme de renouvellement est effarant, tel est le rythme auquel se trouve confrontée notre capacité à adapter nos connaissances et nos compétences technologiques. Celles-ci sont sujettes à un dépassement imminent, à une rapide caducité. Et ce, que nous soyons (franchement / relativement) jeunes ou moins jeunes.

Dans ce contexte, il s’impose d’insister pour la reconnaissance (commune, par nos institutions scolaires, par nos employeurs) du rôle fondamental joué par la computer-literacy (à généraliser en une techno-literacy), qu’il faudra conséquemment maintenir, alimenter et bonifier.

(photo : « Naar Hopla kijken », Inferis, licence CC)

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Colliger et archiver des « Born-Digital Literary Materials » : nous y voilà

draftsMatt Kirschenbaum entame un projet à l’image de ce que l’on souhaitait tous secrètement qu’il advienne : comment gérer, colliger et archiver des documents numériques dans la sphère littéraire… C’est toute la question du brouillon numérique qui est ici envisagée : à la conjonction, donc, de la technologie, de la génétique littéraire et de la médiologie. Il s’attaquera ni plus ni moins aux vieux laptops de Salman Rushdie, à titre de matériau expérimental…

Today nearly all literature is « born digital » in the sense that at some point in its composition, probably very early, the text is entered with a word processor, saved on a hard drive, and takes its place as part of a computer operating system. Often the text is also sent by e-mail to an editor, along with ancillary correspondence. Editors edit electronically, inserting suggestions and revisions and e-mailing the file back to the author to approve. Publishers use electronic typesetting and layout tools, and only at the very end of this process almost arbitrarily and incidentally, one might say is the electronic text of the manuscript (by now the object of countless transmissions and transformations) made into the static material artifact that is a printed book. (Hamlet.doc ?)

Travaux à suivre de près, considérant les énormes besoins auxquels feront face les archivistes et généticiens littéraires dans les prochaines années…

(photo: « did i mention… », gish700, licence CC)

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Hypertextopia : Storyspace à la moulinette des webapps

Forking pathsHéhé, une traînée de poudre : Ben Vershbow, sur if:book, reprend l’info de Nick Montfort sur GrandTextAuto (qui l’avait repiqué de qumbler) ; Hubert Guillaud, sur la feuille, a pris le relais dans la sphère francophone.

Un étudiant à Brown University, au code bien tourné (Ruby on Rails + Javascript), produit un site permettant de créer des hypertextes de fiction à la sauce Storyspace : Hypertextopia. Version simplifiée, graphiquement réussi, user-friendly. Dans les mots de Vershbow : « The site is gorgeously done, applying a fresh coat of Web 2.0 paint to the creaky concepts of classical hypertext. »

Et ça déclenche des nuées de commentaires… Étonnant, considérant la disgrâce des hypertextes de fiction. Comme si le phénomène était nouveau. Vershbow n’en est pas moins explicite sur son inconfort face à ces productions qui le décoivent : « Hypertext’s main offense is that it is boring, in the same way that Choose Your Own Adventure stories are fundamentally boring. » Le pli réapparaît: comme si c’était le support qui créait les mauvaises fictions. On ne peut écrire un grand roman avec un Berol HB mal aiguisé, c’est connu. Pitoyable qu’on doive se le rappeler.

Sinon, malgré la naïveté de la chose, il peut être intéressant, pour mieux comprendre le projet de Jeremy Ashkenas (oui, c’est son nom… étonnant de voir que personne ne s’était occupé de lui rendre ses lettres de noblesse), de lire son Hypertextopia Manifesto, ne serait-ce que pour comprendre son intérêt spécifique pour les axial hypertexts :

The axial style helps the author to maintain narrative coherence in a hypertext by insisting on a beginning, an end, and a thrust of rhetoric that connects the two. After a reader has completed an axial hypertext, they should understand the point that the author is trying to make. This style is often contrasted against fully networked hypertexts, where the reader is free to enter at any point, proceed to any other point, and may leave at any time she chooses.

If the author has a definite meaning and feeling to convey, an axial style will help get it across, while making good use of the literary forms that hypertext offers.

Argument étrange, dans la mesure où la réticulation du support est ainsi totalement désamorcée. Sorte de fantasme de la digression rendue sur support virtuel — à la façon de Rayuela, de Cortázar…

(photo: « Derive at 04.NN: Boulevard of forking paths », adamgreenfield, licence CC)

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