Le récent article d’Ana, sur la place de la technologie dans les musées, me ramène à des articles du mois de décembre que j’avais marqués d’un drapeau — toute une polémique sur les digital natives et les digital immigrants. La question que pose Ana est celle de l’accommodement que les musées pourraient faire à l’intention de leur jeune public, apparemment des digital natives (des gens ayant toujours vécu avec la technologie dans leur vie, et donc avec une relation à leur environnement qui dépend à peu près totalement de l’interface de la technologie). Elle place sa réflexion dans le contexte d’une étude qui vient remettre en question ce lieu commun :
Tout ce texte, pour en venir à vous partager une étude de la British Library au sujet de la Google generation : Information behaviour of the researcher of the future (pdf).
Ce document présente tant les idées reçues au sujet de cette génération Internet que le résultat de l’étude. Plusieurs perceptions que nous développions de façon « automatique » deviennent des mythes et c’est pour le mieux de l’avenir des musées. À la lecture de l’étude, j’en conclus qu’il n’est pas automatique que les jeunes d’aujourd’hui intègrent tous les tenants et les aboutissants de cette nouvelle ère numérique, même s’ils en sont natifs et probablement des usagers plus fluides que les plus âgés.
Prudence donc, car cette impression de la maîtrise quasi-innée de la technologie doit être révisée. Le débat a été lancé par Henri Jenkins (sous une forme nuancée, parlant du danger d’oublier les variations d’accessibilité aux technologies, d’un digital divide). Puis il a été doublement relayé par Siva Vaidhyanathan, qui insiste beaucoup (trop) sur la non-pertinence de la notion de génération, mais qui se rattrape en disant qu’il n’y a rien à gagner à généraliser cette apparente opposition entre digital native et digital immigrant.
Ce qui apparaît se démarquer, c’est le mythe autour de l’utilisation des technologies. Et c’est un mythe dont l’inexactitude se vérifie au quotidien (j’en témoigne personnellement, voyant mes étudiants faire un usage commun de Facebook mais ne sachant toujours pas faire un saut de page dans un traitement de texte). Il faut remettre les pendules à l’heure sur le rapport avec la technologie, en particulier sur la complexité de ce rapport.
1. Il paraît évident qu’il y a une aisance qui vient avec un médium lorsque celui-ci a été fortement présent au moment des années d’apprentissage les plus fulgurantes (fin de l’enfance et première moitié de l’adolescence — un psycho-cognitiviste dans la salle pour confirmer ?). L’analyse de plusieurs générations au vingtième siècle l’illustrerait sûrement avec force.
2. Il faut en revanche admettre qu’il n’y a aucun caractère inné à l’usage des technologies. Certaines interfaces tablent davantage sur des processus cognitifs courants et réduisent le gap technologique, oui. Mais il y a toujours une étrangeté à apprivoiser, une distance à franchir. Et des apprentissages sont nécessaires.
3. À l’image des objets qui nous intéressent, dont le rythme de renouvellement est effarant, tel est le rythme auquel se trouve confrontée notre capacité à adapter nos connaissances et nos compétences technologiques. Celles-ci sont sujettes à un dépassement imminent, à une rapide caducité. Et ce, que nous soyons (franchement / relativement) jeunes ou moins jeunes.
Dans ce contexte, il s’impose d’insister pour la reconnaissance (commune, par nos institutions scolaires, par nos employeurs) du rôle fondamental joué par la computer-literacy (à généraliser en une techno-literacy), qu’il faudra conséquemment maintenir, alimenter et bonifier.
(photo : « Naar Hopla kijken », Inferis, licence CC)