Arts & Letters Daily me pointe ce matin une recension d’un récent ouvrage, The Death of the Critic, qui ose ramener le débat sur le rôle à jouer par les critiques littéraires dans l’évaluation des œuvres contemporaines — toute la question de la valeur. Refusant le désengagement couramment prôné (sur la base de l’argument que l’opinion de l’un vaut bien celle de l’autre), Rónán McDonald tient un discours étonnant (dans son articulation) sur le rapport entre le jugement provenant de la Tour d’ivoire et la construction d’une opinion commune sur les œuvres (dans les mots de John Mullan, auteur de la recension):
[McDonald] argues that the demise of critical expertise brings not a liberating democracy of taste, but conservatism and repetition. “The death of the critic” leads not to the sometimes vaunted “empowerment” of the reader, but to “a dearth of choice”. It is hardly a surprise to find him taking issue with John Carey’s anti-elitist What Good Are the Arts? (2005), with its argument that one person’s aesthetic judgement cannot be better or worse than another’s, making taste an entirely individual matter. McDonald proposes that cultural value judgements, while not objective, are shared, communal, consensual and therefore open to agreement as well as dispute. But the critics who could help us to reach shared evaluations have opted out. The distance between Ivory Tower and Grub Street has never been greater.
Comme le signale Mullan, une grande qualité de cette réflexion réside probablement dans la nuance et l’ouverture de McDonald. Ainsi tend-il à condamner non pas tant le structuralisme et le post-structuralisme (comme sources de la défection de la critique littéraire sur la question de la valeur) que les cultural studies — mais le fait-il encore en prenant garde de ne pas condamner unilatéralement :
Cultural studies may have been anti-elitist, refusing distinctions between high and low, proper and popular, but it doomed the academic to irrelevance outside the academy. “If criticism forsakes evaluation, it also loses its connections with a wider public.” He is a tolerant enemy to anti-evaluative criticism. Reviewing the rise of Cultural Studies, he even concedes that it might for a while have been salutary to have “an amnesty on the idea of objective quality”. Neglected works and unheard voices have been recovered. Even though he dislikes Cultural Studies, McDonald relishes much that we would call “popular culture”, and clearly believes that cinema, television and pop music deserve good critics too.
Si on avait déjà vu poindre de nouveau la réflexion sur la valeur dans le domaine francophone (ici et là), il faut se réjouir de cette ouverture dans la chamboulée sphère anglo-saxonne.
Difficile par ailleurs de ne pas voir dans ce retour vers la compétence des littéraires une confirmation de la nécessité, dans le déluge informationnel et discursif contemporain, de ressources agissant comme des filtres — de la bibliothéconomie aux carnets scientifiques. Retour qui se fait avec toute la circonspection utile, avec un besoin non pas d’autorités absolues (toutes sont relativisées, à coup sûr) mais de guides, dont on connaîtra avec profit les biais et les allégeances.
(photo : « everyone’s a critic », jontintinjordan, licence CC)