Pour une diversification du discours académique

Pour les universitaires, il paraît difficile de ne pas succomber au piège du conformisme discursif. Une thèse selon les usages, un article comme il le faut, une monographie dense, longue et encore plus longue. Le tout dans un système qui encourage la réduplication des modèles (processus qui a certes valeur pédagogique, on s’entend) et qui programme les attentes en conséquence.

Helen Sword, dans The Times Higher Education (merci à Benoît Melançon), s’attaque aux différents mythes liés à la prose académique. Rafraîchissant, son article attire l’attention sur ces supposés passages obligés et les « on-dit » de l’écriture en contexte universitaire. Le premier mythe qu’elle mentionne, « Academics are not allowed to write outside of strictly prescribed disciplinary formats », est bien formulé : cette prescription implicite, qui l’établit, qui la maintient ? Et elle poursuit sur d’autres cas de figure : les chercheurs bien en selle peuvent s’en permettre davantage, certains ne souffrent pas des affres de l’écriture, les textes destinés au grand public sont un sous-produit et entraînent le mépris des collègues… Son discours, ouvert à de nouvelles réalités, reste toutefois un peu faible dans cette ouverture à de nouveaux possibles.

On voit jaillir, par ailleurs, des initiatives pour réfléchir à cette écriture dite « experte » — signalons ce colloque international qui se tiendra à l’Université de Sherbrooke en juin 2013 : « L’écriture experte : enjeux sociaux et scientifiques ». Espérons que ce sera l’occasion, notamment, de penser hors des cadres (to think out of the box).

Dans cet esprit (mais il y a loin de l’idée à son implantation), un volet de la version revisitée de la revue temps zéro que je dirige fera place à une forme inusitée dans le discours académique : l’article bref. S’inspirant quelque peu du travail mis en place dans Salon double, ce format intermédiaire entre le résumé et l’article académique visera plutôt à développer une intuition de lecture / d’analyse sur une dimension poétique, esthétique ou imaginaire du corpus contemporain. Sorte de plongée rapide, pas nécessairement appuyée par une analyse approfondie, mais relevant d’une certaine vision d’un aspect de la littérature d’aujourd’hui. Pour contrebalancer le rythme lent des dossiers d’articles (qui seront plus systématiquement publiés deux fois par année), ces articles de chercheurs paraîtront une fois par mois. Reste à définir plus précisément la formule précise : sous quels mots décrit-on cette intuition ? quelles modalités d’évaluation établir, pour cerner la rigueur singulière de ces articulets que l’on souhaite reconnus pour leur valeur propre ? comment arriver à casser le moule de l’article long pour susciter un rythme et une densité plus grands ?

Rendez-vous en janvier 2013… d’ici là, vos idées et propositions sont les bienvenues.

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Maillages

L’éparpillement nous guette constamment : des cours aux projets de recherche, des tâches administratives aux étudiants à encadrer. Thématiquement, il frappe tout autant, à l’intérieur de la seule sphère des communications scientifiques. Mai en est un bel exemple : atelier de réflexion et de création sur le récit contemporain coorganisé avec Mahigan Lepage, participation à un colloque sur la théorisation des recueils de nouvelles puis présentation dans le cadre du congrès de l’Association des archivistes du Québec.

Quel rapport entre ces activités ? Les sujets sont distincts : une réflexion sur le numérique et son incidence sur l’écriture narrative, dans le premier événement ; un parcours de mes travaux sur l’organisation des recueils de nouvelles et sur les romans éclatés d’aujourd’hui, dans le deuxième colloque ; une discussion sur la valeur d’usage des archives scientifiques, dans le troisième cas. Pourtant, la ligne se dessine, tout aussi implicite soit-elle. Des enjeux de poétique, plus particulièrement de poétique médiologique, si l’on veut : interaction du support avec son sens, avec son usage, en lien avec la place saillante du numérique dans les écritures et les pratiques scientifiques ; dans tous les cas, prise en considération de la construction dynamique du sens, dans des recueils, des œuvres diffractées ou des corpus d’archives.

Le maillage peut également être transversal. Ainsi cette proposition d’écriture d’abord pensée pour les participants de l’atelier « Les moyens du récit contemporain », mais que Mahigan et moi avons tout aussitôt élargie à toute oreille ouverte. Partant d’une réflexion sur les moyens, les dispositifs de l’écriture narrative, nous imaginons cette proposition qui vise à fabuler un trajet, un déplacement vers Québec. Des matériaux (trame sonore urbaine, vidéo autoroutière, images google-earth-iennes), des invitations à écrire une vision de ce parcours. Le site recueillera d’ici le 16 mai les textes des uns et des autres, sorte de mise en commun d’un imaginaire poussé à s’exprimer, à partir de contraintes minimales. De là, poursuite collégiale de la réflexion sur ce que peut faire la fiction d’aujourd’hui lorsqu’elle s’inscrit dans cet espace parcouru, comme cas de figure des moyens du récit contemporain. Au plaisir de vous lire !

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De la diffusion numérique : podcasts et reverse editing

L’initiative du Café numérique se révèle très stimulante — s’obliger à se plonger dans des approches voisines du numérique mais nécessairement différentes de ma propre vision ; rencontrer des auditeurs dont la familiarité avec les enjeux est variable mais l’appétit tout aussi grand ; voir comment le sujet captive, en dehors des murs de l’université.

Dans cet effort de mise en place d’une petite communauté, le souhait de dépasser celle-ci est concomittant. D’où l’idée d’en faire des podcasts, qui assurent la pérennité de la conférence et des discussions qui l’accompagnent. Jusqu’à maintenant, deux rencontres : Mathieu Rocheleau qui discute de l’utilisation de la 3D en sciences historiques et Milad Doueihi qui part de son ouvrage sur l’humanisme numérique pour discuter plus avant des enjeux de la diversité culturelle et de la dimension politique. Les fichiers sont au bas de cette page, à écouter directement dans votre navigateur ou à télécharger.

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Autre registre : les Éditions Nota bene, éditeur spécialisé en sciences humaines, poursuivent leur pénétration du marché numérique. Parution parallèle de plusieursnouveautés au format pdf (pour l’instant), mais surtout publication rétrospective (reverse editing, ça existe ?) de titres antérieurs. Le compte est à 19 en date d’aujourd’hui, et va rapidement croissant. Et pour favoriser la diffusion de travaux plus anciens, Guy Champagne, leur directeur, fait le choix de diffuser gratuitement certains titres. Le premier à en bénéficier : l’ouvrage collectif La discursivité, dirigé par Lucie Bourassa (édition originale en 1995).

(Dénonciation de conflit d’intérêt : j’y dirige la collection « Contemporanéités ».)

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Le long, le bref et le truchement numérique

Je laisse ici le texte et la présentation de ma communication dans le cadre du colloque sur les cultures numériques organisé par Milad Doueihi à Québec, du 14 au 16 septembre 2011. (Le texte n’est pas nettoyé de ses éléments contextuels et autres marques d’oralité.)

TextePrésentation

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Addenda du 19 septembre : difficile d’être plus en phase avec Hubert Guillaud : « C’est la nature même des livres qui est en train de changer », reprenant les paroles de Jon Meacham, editor chez Random House.

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À quoi bon écrire des articles, quand on est journaliste ?

En écho aux réflexions de CFD hier et dans le sillage de mes explorations sur le long et le bref en contexte numérique, les propos de Jeff Jarvis sont des pistes stimulantes. Il interroge particulièrement la portée et l’utilité de la forme de l’article en contexte journalistique.

This discussion over the fate of the article has direct relevance to those wanting to shift to digital first. Going digital does not mean merely putting articles online before the presses roll, as then print still rules the process. No – digital first means the net must drive all decisions: how news is covered, in what form, by whom, and when. It dictates that when journalists know something, they are prepared to share it with their public. They may share what they know before their knowledge is complete so the public can help fill in blanks.

In this way, digital first resets the journalistic relationship with the community, making the news organisation less a producer and more an open platform for the public to share what it knows. It is to that process that the journalist adds value. She may do so in many forms – reporting, curating people and their information, providing applications and tools, gathering data, organising effort, educating participants … and writing articles.

Cette diversification des moyens de transmission est un signal du nouvel écosystème informationnel balisé par le numérique. Jarvis insiste sur le fait que l’article est (doit être) une version augmentée de l’information. Que des ressources doivent être réservées à cet objet à valeur particulière. Que le journalisme actuel dilue les vrais articles à travers une mer de pseudo-histoires inspirées de l’actualité. D’où, finalement, l’intérêt de l’écologie numérique, qui ajoute de nouvelles formes de transmission qui passent par un autre canal que le classique article.

Sa réflexion croise également l’idée de valeur (et de fonction) du livre et des articles.

When people say they like newspapers and books they aren’t just talking about the physical form of them: the feel and smell, the portability and tangibility. They are talking about the finiteness of them. Articles and books have beginnings and ends; they have boundaries and limits; they are packaged neatly in boxes with bows on top; they are a product of scarcity. Abundance is unsettling. That is precisely why the internet is disruptive not only to business and government but to culture and cognition. Threatening the dominion of the article is to threaten our very worldview.

Caractère fini, ampleur saisissable, valeur liée à la totalité que l’objet constitue : des questions que le livre numérique pose tout aussi lourdement. Et la littérature autant que le discours scientifique sont concernés. Le numérique ébranle notre vision du monde — de façon générale (cognition, perception, représentation du savoir) autant que du point de vue de la transmission de l’écrit, qui est en lui-même une vision du monde.

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