La question revient constamment, elle était autour du BBQ, hier, avec Clément, alors que le poulet crépitait. Maintenir le blog, oui, mais pourquoi ? Pourquoi refuser de le fermer, comme je ne m’en sers presque pas ? Parce que. Espoir de trouver du temps ? Illusion de pouvoir m’en servir plus activement ? À tout le moins, garder l’impression d’un espace perso, d’un point de chute potentiel, d’un lieu pour une écriture libre. Mais le temps manque cruellement, le recul se fait rare, les obligations prennent le pas sur les moments de réflexion – les pistes, ou plutôt les sorties intellectuelles hors piste, viennent à la faveur (…) de certaines insomnies d’estomac dérangé, comme les notes de ce texte, vers 2h35.
* * * * *
La question est à la fois démentiellement simple et pourtant sans réponse. En contexte universitaire comme le mien, quel espace numérique (« médiatique ») peut-on, doit-on occuper ?
Un exemple, pour rendre le tout plus concret : si j’organise un événement portant sur le numérique, dans le contexte du Laboratoire Ex situ que je dirige, quelle stratégie de communication choisir ?
S’offrent à moi :
- diffusion par des sites : calendrier des événements du site de l’Université Laval, site de l’ITIS (Institut Technologies de l’information et société), site de la Faculté des lettres et sciences humaines, site du Département des littératures, site de mon centre de recherche (le CRILCQ), site du Laboratoire Ex situ, ce blog – ainsi que leurs fils RSS (RS quoi ?)
- c’est sans compter la page officielle ayant la responsabilité de renseigner les curieux sur cet événement : un de ces lieux ou un site spécialement monté pour l’événement ?
- diffusion par courriel : liste de l’ITIS, bulletin du Département des littératures et du CRILCQ, liste maison constituée pour le Café numérique, courriels perso et, à une autre échelle, la liste Humanist et la liste DH@cru.fr
- diffusion par Facebook : comptes du CRILCQ, du Laboratoire et le mien
- diffusion par Twitter : comptes du Labo et le mien – avec relais probable des fidèles Benoît Melançon, François Bon et Jose Afonso Furtado…
- … et c’est sans compter quelques refus personnels : LinkedIn, Google+ (Google quoi ?), etc.
À ces lieux s’ajoutent différentes variables :
- à quel moment de l’année doit-on publiciser un événement ? à la fin de l’automne, tout le monde déborde et est saturé ; en avril-mai, c’est le temps des colloques et des rattrapages de fin d’année ; au début de l’automne, c’est la frénésie de la rentrée… et en été, personne ne lit vraiment (d’où l’idée initiale de retarder à la fin août la publication de ces notes rédigées le 28 juillet – finalement non, si ce topo intéresse, il fera son chemin…) => hypothèse : fin septembre
- plus encore : quel jour de la semaine doit-on favoriser ? le lundi, tout le monde démarre ; le vendredi, tout le monde songe à s’évader ; le jeudi est la journée des 5 à 7… => hypothèse : le mardi
- plus plus encore : à quelle heure du jour publier un texte, considérant les pointes dans la charge de travail des journées mais aussi les moments d’attention combinés des Nord-Américains et des Européens ? => hypothèse : vers 10h (heure de l’Est)
- et quel délai avant l’événement ? si on s’y prend très tôt, on réserve des gens, l’attention est captée mais le soufflé a le temps de s’écraser ; si on s’y prend à la dernière seconde, on profite de l’attention subite mais plusieurs seront indisponibles… et quelle(s) relance(s), à quelle fréquence, faire pour maintenir l’intérêt et l’attention ? dans les mêmes lieux ? dans des lieux différents ? => hypothèse : lancement 6 semaines à l’avance, relances hebdomadaires dans des lieux différents
Quelle visibilité assurer durant l’événement lui-même ?
- choisir et faire connaître un hashtag (mot-clic) pour Twitter
- offrir un carnet web partagé (style Etherpad) ou un wiki pour que les participants puissent prendre des notes et se commenter les uns les autres
- diffuser simultanément l’événement en audio ou en vidéo
- rendre disponibles des images de l’événement par un compte Instagram ou par un blog mis à jour aux heures
Quelles suites donner à l’événement ?
- diffuser les interventions sous forme de podcast
- rendre disponible le carnet de notes (Etherpad) pour donner à sentir le rythme et la teneur des échanges
- faire un site de synthèse de l’événement : synthèse du contenu ou synthèse des réactions publiées ailleurs sur le web
- faire une publication scientifique – livre, revue, papier, numérique, web, alouette
- … et c’est sans compter les relais qui nous échappent : le journal de l’Université (Le Fil), la revue de l’Université (Contact), les outils de communication des organismes subventionnaires qui financent les recherches…
Tout ceci (et encore plus) est de l’ordre du possible (et de l’actuel : on pourrait faire la nomenclature de moyens tous plus originaux les uns que les autres pour activer une frénésie médiatique).
Est-ce une nécessité ?
- la stratégie de communication augmente la visibilité de l’événement
- elle joue un rôle très important sur le capital symbolique
- celui des participants
- celui de l’institution qui accueille
- celui des unités de recherche impliquées
- celui, évidemment, de l’organisateur
- celui, par ailleurs, du thème de recherche (qui se trouve mis à l’avant-plan et validé par cette diffusion)
- elle contribue à démontrer la rentabilité sociale du thème de recherche (rendre visible le sujet des recherches, c’est s’ouvrir hors des murs de l’institution et donner à saisir ce qui s’y fait)
Est-ce un mal nécessaire ? La nécessité est démontrée, mais elle a ses inconvénients :
- il y a peu de ressources pour gérer cette stratégie : en contexte universitaire, peu de gens compétents pour la réaliser, peu de temps à consacrer à une telle tâche ambitieuse… le tout se fait souvent par les acteurs eux-mêmes, dans le meilleur des cas avec l’aide d’une petite équipe volontaire et débrouillarde
- un risque patent est celui de la surdose d’information auprès des abonnés/followers fidèles, qui verront se répéter à l’envi les mêmes annonces dans des lieux différents mais animés par les mêmes personnes
- survient ainsi une démultiplication de l’information, oui, mais tout autant, pour le responsable, une démultiplication des échanges (threads), des interlocuteurs, des lieux où faire de la veille de réactions/commentaires, des commentaires eux-mêmes à lire, à relayer, à commenter en retour…
Est-ce un ego trip ?
- où tracer la ligne entre une information juste et un délire obsessionnel d’occupation du territoire médiatique numérique ?
- comment savoir si la multiplication des lieux ne fait pas que ressasser l’information auprès d’un même public potentiel ?
- quand commence la pure et simple mise en scène de soi ?
- à partir de quand se transforme-t-on, comme chercheur, comme unité de recherche, en marque de commerce ?
* * * * *
Le blog lui-même est une forme d’ego trip. Mise en scène de sa pensée, de ses opinions, de son importance dans le discours social (qu’on revendique le consensus ou qu’on préfère l’originalité d’une posture différente). Néanmoins, une large part de l’effet de la chose réside dans le ton retenu, bien sûr, et le blog (dans sa relative déshérence) est un outil à visibilité somme toute limitée – pour initiés, donc.
Je le renouvellerai, mon blog, dans son visuel, peut-être son nom aussi – bien que j’aime beaucoup l’idée du regard perso, la marginalité de Palomar et l’ascendance de Calvino… Les questions demeureront : quel ton retenir ? qu’y publier ? où écrire les premières versions : sur papier (la nuit), dans un courriel, dans Word ou Pages, dans Evernote, directement dans WordPress ? Quel moment (ou quelle durée) m’autoriser en regard de mes autres obligations professionnelles ? Quelle fonction de déblayage de mes idées, de mes écrits lui associer ? (en public ou en privé ?)
La question de communication, elle, reste entière. Elle se négocie sûrement au cas par cas, sans compter le fait que les moyens évoluent eux-mêmes très rapidement (on a peine à croire que Facebook ne sera plus (ou plus le même) dans quelques années à peine). Et les choix seront souvent guidés par des paramètres idéologiques (alimenter ou non la bête Facebook ?) et par l’identification de publics spécifiques – spécifiques aux événements, spécifiques aux plates-formes.
Persiste néanmoins une petite inquiétude à l’égard de la dérape possible. Je la vois comme un sain réflexe critique. Elle incite parfois à se retirer, à faire les choses seul de son côté. C’est bien ce que j’irai méditer, en vacances, les pieds dans l’eau, me plaignant seulement de ne pas voir le soleil se coucher à l’horizon sur le plat de l’eau.
PS : Je ne publicise pas ce texte, seule sa publication sur blog atteste de son existence. On verra bien…
Quelques remarques, en vrac, sur ces questions, que je me pose itou et qui me paraissent importantes.
Pour des activités scientifiques, le canal que je favorise est Twitter, soit par mon compte personnel soit par les comptes professionnels dont je suis responsable. (Je n’ai jamais eu de compte Facebook ni Google+. J’ai ouvert LinkedIn une fois, par obligation.) Les gens qui suivent ces comptes le font par choix. Si ce qui y est diffusé les ennuie, ils n’ont qu’à se désabonner. Comme tout un chacun, je le fais régulièrement.
J’utilise aussi Fabula (t’as oublié ça, René ?). Il me semble que la plateforme a réussi à s’imposer comme la référence pour les études littéraires en français. J’y ai annoncé des colloques, des publications et des postes, toujours avec succès.
Pour mon blogue, la situation est plus compliquée. Depuis décembre 2009, sauf en période de vacances, je me suis imposé d’y publier un texte par jour. Lorsqu’il m’arrive de parler d’activités scientifiques, c’est donc un peu noyé dans la masse des autres textes. Histoire de signaler à mes lecteurs qu’ils s’apprêtent à tomber sur de la pub, j’ai créé une rubrique «Autopromotion», dont je me sers sur Twitter et parfois dans le titre de mes billets de blogue.
Cette liste n’est pas exhaustive, mais il me semble que s’y dessinent deux règles. D’une part, la multiplication des canaux de diffusion, au risque de la répétition, s’impose : il n’y a pas une source unique à laquelle tout le monde s’abreuverait. D’autre part, dans la mesure où le «Web 2.0» / le «Web social» repose sur la constitution volontaire de communautés, je n’ai pas d’état d’âme à employer ses outils pour faire circuler de l’information. Cela suppose évidemment que, dans certains cas, je choisisse de privilégier une communauté et pas une autre.
Reste un problème : le grand nombre de nos collègues qui restent insensibles au partage numérique, sauf quand ils ont besoin de nous pour leur faire de la pub. Mais c’est un autre débat.
« Reste un problème : le grand nombre de nos collègues qui restent insensibles au partage numérique, sauf quand ils ont besoin de nous pour leur faire de la pub. Mais c’est un autre débat. »
Est-ce vraiment un autre débat. Et si c’était le même?
Même problème général… mais c’est toute la différence entre la gestion de la communication pour un organisateur d’événement et l’enjeu global de la littératie numérique – même chez des universitaires. Comme quoi ce n’est pas une question de classe sociale ou de niveau de formation générale.
Je pense que la question que cela pose surtout est celle d’une communauté destinataire « préexistante » à la communication souhaitée.
Si la communication sert à initier / solliciter / donner forme à une communauté (autour d’un événement, par exemple) c’est lourd et souvent démotivant (heureusement pas toujours).
Si la communication sert à informer / mobiliser une communauté existante (ou une partie d’une communauté existante) alors, c’est autre chose (et souvent plus motivant, et efficace).
Je suis de moins en moins intéressé par le premier contexte, et de plus en plus dans le second.
Je partage, pour l’essentiel, la position de Clément, s’agissant des communautés scientifiques qui sont les miennes. Elles changent très lentement, quand elles changent, et je ne vois pas bien l’intérêt de me «sacrifier pour la cause» auprès d’elles. Cela étant, j’essaie d’être disponible pour les collègues qui choisissent, à un moment ou à un autre, de pratiquer le partage numérique.
En revanche, je n’hésite pas à faire du prosélytisme dans d’autres communautés, en l’occurrence les pédagogiques. J’ai déjà eu l’occasion de dire plusieurs fois — ô radotage ! — que mes étudiants d’aujourd’hui, contrairement à ceux d’il y a quinze ans, ne sont plus d’emblée, par principe, réfractaires au numérique. (Pour être juste : ils sont moins réfractaires.) Pour eux, il y a encore de l’espoir.
Clément : les communautés sont déjà bien forgées en milieu universitaire (si on parle de ce cas précis). Il y a toujours l’enjeu de créer des sous-communautés ponctuelles, évidemment… mais ça reste toujours implicite. Je comprends l’opposition que tu crées, mais je me demande à quel point ce schisme existe encore aujourd’hui… ?
Benoît le souligne bien : la/les communauté/s, pas besoin d’agir de ce côté. Les individus participent ou pas, cela dépend de chacun. Et les changements de pratiques, de mentalités sont très longs… désespérément longs pour un milieu qu’on souhaite penser qu’il est à la pointe. Fabula reste un outil conservateur pour des utilisateurs conservateurs ; le courriel permet de rejoindre qui doit être rejoint ; Facebook est pour les happy fews qui aiment « se jaser ça » ; et Twitter – c’est quoi déjà, Twitter ? (…)
Et nos étudiants en littérature, rien à y faire, sont souvent nostalgiques/romantiques. Tant qu’on ne développera pas des profils de carrière plus axés sur une implication directe dans la culture numérique, nous ne recruterons que des étudiants qui pérenniseront cette attitude réfractaire. À moins que la « petite » école subisse toute une révolution rapidement ! (mais les profs actuels peinent à suivre ; ceux de demain sont formés par des profs universitaires qui n’y sont pas encore ; alouette.)