La culture numérique, un défi pédagogique

imageIl le faut, oui. Donner l’occasion aux étudiants de premier cycle de plonger dans la culture numérique, d’en acquérir certaines bases et des repères. En faire de meilleurs citoyens pour les décennies prochaines… L’objectif est noble. Nos programmes d’enseignement ne peuvent plus en faire l’économie. Pour l’hiver prochain, je monte un cours d’Approches de la culture numérique. Cours en ligne, au demeurant. Bien du plaisir à venir…

Néanmoins, depuis l’intention initiale jusqu’à la réalisation du projet, il y a nombre d’obstacles à contourner et d’enjeux à prendre en considération. J’en série quelques-uns ici, avant de poser les questions normales du balisage possible de ce cours.

Éléments de contexte

  • Le bagage des étudiants. Bien sûr, on ânonne sur toutes les tribunes que les étudiants d’aujourd’hui (ceux qui suivront le cours à l’hiver sont nés en… 1995 !) sont tombés dans la marmite étant (plus) jeunes, qu’ils pitonnent plus vite que leur ombre, qu’ils sont quelque chose comme (on a bien contesté le terme) des digital natives. Oui, mais foutaise aussi : il n’y a pas pour l’instant (ici au Québec, mais aussi un peu partout en Occident) de formation numérique, de moyens d’assurer une digital literacy. Habiles du « like » et du texto, ils ne connaissent pas le principe d’une feuille de style dans leur traitement de texte ni n’ont pas idée des principes derrière le codage. Ils ignorent la différence entre un blog et une revue savante numérique (j’exagère… à peine…). Ils ont une conscience bien théorique de l’historicité des pratiques culturelles en fonction de leurs supports.
  • L’attitude des étudiants. Particulièrement en études littéraires, les étudiants ne sont pas d’emblée les plus portés sur l’expérimentation autonome. Plusieurs nous arrivent avec une belle nostalgie (d’où vient-elle ??) du livre papier, avec un certain conservatisme sur les formes de la littérature. Néanmoins, derrière leur bagage restreint et cette attitude feutrée, se cachent une grande curiosité et une ouverture – en autant qu’on leur donne les moyens de saisir ce qui se trame derrière quelques ovnis qu’on se plaît trop souvent à leur mettre sous le nez pour les faire réagir. À nous de les guider.
  • L’état des lieux des cours sur la culture numérique. Après une tournée des syllabus et des cours disponibles pour consultation, le constat est aisé : ce que l’on met sous « culture numérique » est tout sauf une réalité homogène. Ici des cours qui sont plutôt une initiation aux digital humanities, là d’autres qui se servent d’internet comme plate-forme d’écriture (au sens de création littéraire), là encore des approches historicisantes qui ne font arriver le numérique qu’aux deux-tiers du cours, là enfin des cours pratiques de bidouillage de code ou des approches plutôt socio-info-comm donnant une extension très large à l’idée de culture. Deux questions : quel cadrage proposer dans le cadre d’un programme multi-facettes comme notre baccalauréat en études littéraires ? quel cadrage favoriser autant pour intéresser que pour bien servir nos étudiants ?

Quelques balises

  • La culture au sens fort (?). Pour l’instant, l’idée est de cadrer le cours autour des pratiques culturelles (au sens de pratiques esthétiques), pour en voir la transformation des enjeux propres (autorité, notion d’œuvre, institutionnalisation, frontière des champs restreint/populaire, matériaux et forme des œuvres, circulation…). De cette façon, la multi-disciplinarité de mon département pourrait se trouver représentée.
  • L’idée d’une historicité. Comme on ne peut tout couvrir et tout faire, l’inscription historique se limiterait à une prise de conscience de la continuité d’une culture médiatique vers une culture numérique, à travers quelques éléments de micro-historicité des pratiques (évolution des pratiques de littérature numérique, par exemple).
  • Le numérique comme outil et comme objet. La dualité m’apparaît nécessaire. Les étudiants sont des chercheurs qui se plongent dans un monde balisé par des outils numériques, lesquels s’inscrivent en continuité dans le discours critique et la pratique créative. Ce double regard sera favorisé, pour qu’ils en soient conscients d’abord – mais aussi pour qu’ils l’expérimentent. Obligation, donc, d’un passage par quelques apprentissages techniques, pour en comprendre la logique (l’idée du code) et pour acquérir des bases minimales (manipulation d’un wiki, apprentissage des usages de la publication, etc.).

La réflexion et la préparation se poursuivent. Les échanges sont nécessaires pour mettre les idées au clair (merci à Marie-Ève de son accompagnement – elle interviendra sûrement ici dans les commentaires pour poursuivre cette mise en place). Vos réactions sont les bienvenues.

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3 réflexions au sujet de “La culture numérique, un défi pédagogique”

  1. J’ai commencé à parler des études littéraires et du numérique dans un cours (obligatoire) d’histoire de la littérature il y a plus de quinze ans. La réaction des étudiants était claire : ça les ennuyait. (Je ne crois pas avoir été la source principale de cet ennui.)

    Redonnant le cours quelques années plus tard, j’ai pu constater une (timide) évolution : il y avait de bonnes questions chez les étudiants, mais il y avait toujours aussi une coupure nette, du moins dans les discours, entre un intérêt (relatif) pour ces questions et une vraie prise de conscience des effets du numérique sur les pratiques littéraires (création, enseignement, recherche).

    Depuis, j’ai rendu l’écriture sur un blogue obligatoire pour mes étudiants au doctorat — sans grand succès.

    D’où la question suivante : comment expliquer que les étudiants nés dans les années 1990 soient parfaitement conscients que leurs pratiques «audiovisuelles» (comme on disait dans ma jeunesse) ont été bouleversées par le numérique, tout en refusant de faire le même constat pour leurs pratiques littéraires ?

    Bref, pas de réponses, mais des questions. Tiens-nous au courant.

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