Le long, le bref et le truchement numérique

Je laisse ici le texte et la présentation de ma communication dans le cadre du colloque sur les cultures numériques organisé par Milad Doueihi à Québec, du 14 au 16 septembre 2011. (Le texte n’est pas nettoyé de ses éléments contextuels et autres marques d’oralité.)

TextePrésentation

****

Addenda du 19 septembre : difficile d’être plus en phase avec Hubert Guillaud : « C’est la nature même des livres qui est en train de changer », reprenant les paroles de Jon Meacham, editor chez Random House.

Share

À quoi bon écrire des articles, quand on est journaliste ?

En écho aux réflexions de CFD hier et dans le sillage de mes explorations sur le long et le bref en contexte numérique, les propos de Jeff Jarvis sont des pistes stimulantes. Il interroge particulièrement la portée et l’utilité de la forme de l’article en contexte journalistique.

This discussion over the fate of the article has direct relevance to those wanting to shift to digital first. Going digital does not mean merely putting articles online before the presses roll, as then print still rules the process. No – digital first means the net must drive all decisions: how news is covered, in what form, by whom, and when. It dictates that when journalists know something, they are prepared to share it with their public. They may share what they know before their knowledge is complete so the public can help fill in blanks.

In this way, digital first resets the journalistic relationship with the community, making the news organisation less a producer and more an open platform for the public to share what it knows. It is to that process that the journalist adds value. She may do so in many forms – reporting, curating people and their information, providing applications and tools, gathering data, organising effort, educating participants … and writing articles.

Cette diversification des moyens de transmission est un signal du nouvel écosystème informationnel balisé par le numérique. Jarvis insiste sur le fait que l’article est (doit être) une version augmentée de l’information. Que des ressources doivent être réservées à cet objet à valeur particulière. Que le journalisme actuel dilue les vrais articles à travers une mer de pseudo-histoires inspirées de l’actualité. D’où, finalement, l’intérêt de l’écologie numérique, qui ajoute de nouvelles formes de transmission qui passent par un autre canal que le classique article.

Sa réflexion croise également l’idée de valeur (et de fonction) du livre et des articles.

When people say they like newspapers and books they aren’t just talking about the physical form of them: the feel and smell, the portability and tangibility. They are talking about the finiteness of them. Articles and books have beginnings and ends; they have boundaries and limits; they are packaged neatly in boxes with bows on top; they are a product of scarcity. Abundance is unsettling. That is precisely why the internet is disruptive not only to business and government but to culture and cognition. Threatening the dominion of the article is to threaten our very worldview.

Caractère fini, ampleur saisissable, valeur liée à la totalité que l’objet constitue : des questions que le livre numérique pose tout aussi lourdement. Et la littérature autant que le discours scientifique sont concernés. Le numérique ébranle notre vision du monde — de façon générale (cognition, perception, représentation du savoir) autant que du point de vue de la transmission de l’écrit, qui est en lui-même une vision du monde.

Share

Manifeste pour la culture (numérique)

Il en est toujours ainsi dans un champ en développement : les premiers acteurs du champ se réunissent pour brasser le modèle, pour en évaluer les extensions, pour imaginer sa portée potentielle. Pourtant, ces gens partagent souvent a priori peu de choses — horizons disciplinaires variés, objets distincts, méthodes spécifiques.

Les orientations informant notre conception de ce qui peut être couvert par ce nouveau champ prennent une forme différente selon que l’on se trouve en milieu académique ou dans la sphère publique générale.

Le hype numérique, dans le champ académique, plus spécifiquement celui des sciences humaines, s’est cristallisé sous la forme très pointue des digital humanities (DH). Si l’expression est large, son incarnation recouvre souvent des pratiques très limitées (ou élues comme représentatives de l’approche). L’espace discursif, politique et médiatique est actuellement occupé par un volet très spécifique de l’usage des technologies dans la recherche en SHS : l’application d’approches quantitatives supportées par l’informatique. Les grands ensembles de données, le piochage dans ces marées binaires, les modalités de visualisation de requêtes : malgré les bonnes intentions exprimées par les digital humanists, ce ne sont souvent que le côté impressionnant et l’effet spontané sur le néophyte qui émergent, au détriment de l’analyse qui peut s’ensuivre (pourtant nécessaire : la visualisation, l’extraction de statistiques n’étant, faut-il le rappeler, qu’un moyen pour arriver à la « fin » que sont l’analyse et l’interprétation).

Du côté généraliste, c’est plutôt une conception mur à mur de la culture qui s’impose, une culture numérique pouvant décrire tout geste humainement posé en lien avec une modalité numérique. De l’interaction avec un distributeur de billets au vote électronique en passant par la sociabilité de la lecture, tout est culture. Soit. L’inconvénient est néanmoins de reléguer les pratiques culturelles au sens artistique/esthétique de la chose à un néant discursif, alors que tout est à construire dans ce champ de la culture /en contexte/ numérique.

Focus hyper spécialisé ou ballon gonflé jusqu’à ce qu’il crève : la situation reste peu confortable et mérite d’être conséquente des avancées actuelles dans une saisie plus fine, plus approfondie des enjeux que le numérique fait émerger. L’inconfort est le mien, et le portrait que je propose ici est conforme à mon positionnement dans le champ. Mon souhait est donc d’affirmer des positions qui puissent être différentes, mais nécessairement complémentaires. Trois axiomes, pour commencer à placer les choses.

1. Le retour à la culture

La graphie du titre de ce texte est indicative : je souhaite renforcer une lecture qui est d’emblée centrée sur la culture (dans un contexte qui est celui du numérique). S’intéresser à la transformation des productions culturelles lorsque leur création opère dans un monde numérique. Comment écrit-on de la fiction sur support numérique ? Les rhétoriques narrative et essayistique sont-elles influencées / bouleversées / mutées par la variable numérique ? Les enjeux de périodicité, de pérennité, de mise en réseau, d’archive modifient-ils notre conception du littéraire ? Ce sont là des questions fondamentales (et pourtant reconnues dans le champ littéraire conventionnel) ; pourquoi sont-elles généralement mises au rancart dans l’examen du devenir numérique de la littérature ?

Ce questionnement sur la culture, je l’étends également à la culture scientifique (cette double acception du terme « culture » est évidemment conséquente de mon intérêt pour la littérature mais aussi de mon métier de professeur-chercheur). Le bouleversement dans les outils de diffusion est perceptible, mais commence à peine à influencer notre conception du discours scientifique. On le perçoit bien : en mode numérique, il n’y a guère de différence entre un article (dans une revue savante éditée par un organisme qui s’assure de son évaluation par les pairs) et un livre (publié par un éditeur qui s’assure de sa qualité par une évaluation opérée par des pairs)… Brouillage des statuts, des zones autrefois réservées, il ne reste qu’une question de longueur… C’est sans parler du mélange entre revues, monographies, collectifs, publications d’actes en ligne, wikis, blogues individuels ou à plusieurs mains, rapports en ligne, outils web de transfert : la question de la légitimité du savoir scientifique est plus que jamais ébranlée, pour le mieux pourra-t-on conclure. L’apparition de projets de mise en valeur (comme le très très récent PressForward du CHNM) semble un bon signe. En pareil contexte : quelles conséquences sur la culture scientifique ce brouillage générique peut-il avoir ? Comment envisager la diffusion d’archives scientifiques, la mise en place de dépôts documentaires institutionnels et l’étalement du mandat des bibliothèques au-delà de leurs murs en regard des questions d’accès au savoir, de légitimation et même de propriété intellectuelle ?

2. Le numérique comme un moyen

Autant dans l’étude des productions culturelles que dans les propos sur la diffusion du savoir, la technologie tend à obnubiler les commentateurs. Les possibilités techniques, les technologies retenues accaparent le discours. Du côté des productions littéraires, ce sont les notions d’interactivité, de ludicité, d’hyperlien et de réseau qui prédominent, comme si l’écriture, au premier niveau, ne pouvait pas être profondément bouleversée par le contexte numérique. La diffusion du savoir, pour sa part, navigue entre les protocoles (OPDS, OAI, Onyx) et les formats (epub3, mobi, PDF/A) ; les questions de fond et d’écriture rencontrent une fin de non-recevoir.

Ce sont évidemment des éléments nécessaires au moment du développement de nouveaux usages. Mais ils absorbent la totalité des espaces de discussion et des occasions (scientifiques, financières, expérimentales).

Il paraît important, dans ce contexte, de ramener le numérique à son rôle de médiateur, d’interface (quel mot qui a vilainement vieilli), de moyen — moyen terme entre l’idée et sa diffusion, rouage au sein d’un processus infiniment plus complexe. S’il le faut, la parenthèse sur le numérique méritera d’être généralisée, pour relativiser les obsessions…

3. La lecture des paradigmes interpellés…

… et non l’aveuglement de la poudre aux yeux. Je suis sidéré par l’inégalité des vitesses dans les différentes sphères du monde discursif. Elsevier (pas le plus petit joueur dans le monde de la diffusion du savoir) clame sans vergogne qu’il met au monde « the article of the future » : des revues savantes qui intègrent des graphiques, des visionneuses d’images et quelques animations. Bravo ! (…?) Mais deux observations corollaires. A. Quel retard les éditeurs scientifiques ont-ils pris par rapport au web, par rapport aux éditeurs généralistes de contenu numérique : ces usages de la mise en forme des données sont terriblement courants sur le web, au point de dire que les éditeurs scientifiques ont facilement 5 ans de retard sur ce qu’offre la technologie. B. Malgré l’implémentation de ces possibilités, on note aisément que le discours scientifique est toujours aussi lourd et cadenassé dans les mêmes modèles discursifs. L’article maintient les sous-parties attendues dans ce genre de texte depuis des dizaines d’années (voir entre autres en psychologie, en sciences sociales) ; la monographie est un schéma rhétorique convenu et repris.

Quelle réinvention de ce modèle, par exemple, est-il possible d’envisager ? Pourquoi maintenir l’idée de la monographie (lente, synthétique, verbeuse) contre celle de l’article (en phase avec l’actualité, en lien avec une problématique ou un objet restreint, rebondissant sur le discours critique antérieur) ?

Sur ce même paramètre de la longueur : le web tend-il à bousculer la scission entre le roman et le texte bref, entre le texte unitaire et l’ensemble de fragments, entre le texte fini et le work-in-progress ? Qu’est-ce que la littérature peut dire du monde lorsque les mots se trouvent en situation de précarité, de fausse pérennité (car la vraie pérennité, en contexte numérique, est d’abord un enjeu de visibilité) ?

Cette lecture, enfin, peut-elle se faire, aujourd’hui, sans recours à l’expérimentation elle-même ? Doit-on attendre l’invention par autrui de nouveaux modèles discursifs (littéraires, scientifiques) ou le tissage intime entre création et critique n’implique-t-il pas d’y participer activement pour mieux revenir, en position d’analyse, sur les propositions ainsi formulées ?

*  *  *

J’entendais encore ce matin un politicien affirmer la nécessité d’ «investir dans la culture ». Cette approche mathématique m’exaspère.

Il faut affirmer la culture, la défendre, la produire. Qu’elle soit nationale ou numérique, la culture mérite qu’on s’y investisse.

 

(photo : la table des bidouilleurs, La fabrique du numérique, février 2010)

Share

Contemporain.info, une refonte

Travaillant de plus en plus à la veille des travaux sur la littérature contemporaine, j’ai senti le besoin de partager ces informations avec collègues et étudiants que le champ intéresse. J’en ai profité pour les conjuguer avec une refonte du portail Contemporain.info — véritable porte d’entrée, de la sorte, pour les travaux de ma Chaire et pour les ressources que j’essaie tranquillement de développer. Vos commentaires sont les bienvenus.

(aussi, timidement dans le coin inférieur droit, le feed de ma veille sur la culture numérique — en attendant de proposer autre chose, quand le moment sera venu)

Share

Ce que l’on a fabriqué en un an

futur du numeriqueJe ne voulais pas manquer cet anniversaire. Par nostalgie un peu, par acquit de conscience aussi, par souci de marquer le temps qui a passé. Il y a un an se tenait à Québec la Fabrique du numérique. Événement inspiré du modèle du BookCamp, que l’on a remâché à notre façon — Éric Duchemin, Clément Laberge et moi.

Plusieurs dizaines de personnes (j’ai perdu le décompte) s’étaient réunies, simplement pour le plaisir de discuter édition numérique, livres électroniques et enjeux divers (distribution, modèles économiques, identité numérique, revues en ligne…). Des gens du monde littéraire, d’autres du monde scientifique/académique/universitaire, d’autres encore plutôt liés à la création ou au milieu de la blogosphère. Un échantillon vraiment hétéroclite. Des discussions inattendues ont eu lieu, des échanges imprévisibles entre acteurs non professionnellement liables, des connivences se sont installées. C’était déjà beaucoup, c’était déjà réussi.

Peut-on mesurer les traces de cet événement ? Très difficile. Nos prévisions utopistes nous faisaient conclure l’événement avec un manifeste ; on ne s’est pas rendu à cette étape en après-midi. Certains post-it de la fenêtre ont-ils germé ? Sûrement, d’une façon ou d’une autre. Mais par dessus tout, pas envie de faire œuvre de traçabilité ici. Plutôt prendre le pouls de la dernière année.

Quelques observations ? Je risque de me faire rabrouer, mais l’exercice est stimulant. Pourquoi s’en priver…

Si l’esprit de la Fabrique était celui d’une communauté qui cherche collégialement, la situation actuelle est plutôt apparentée à un processus d’industrialisation. Le marché du livre numérique se structure de plus en plus, les acteurs prennent place, certains émergent alors que d’autres disparaissent. Cette étiquette d’industrialisation peut être connotée négativement, pourtant elle renvoie à un mode de rapport entre une société, son capacité de production et les produits. Des producteurs se spécialisent, un marché est établi et cerné, des consommateurs se présentent (tranquillement) au portillon.

Où est la culture dans tout ça ? Elle s’institutionnalise tout autant. Revues spécialisées, programmes de formation, programmes de soutien aux artistes émergents, événements de diffusion, financement. Néanmoins, une réelle prise en charge large par le public de cette culture dite numérique tarde à se faire sentir. Il y a toute une courbe d’apprivoisement avant que ça s’insère « naturellement » dans la culture au sens général. Si l’idée du livre numérique fait tranquillement son chemin, son adoption, elle, reste relativement restreinte à certaines niches (dont le secteur académique). Il y a du chemin à faire de ce côté.

La question de l’identité numérique, noyautée par les enjeux de vie privée, ne franchit pas le cap du large public. Les Facebook de ce monde, trop souvent démonisés par les médias, accaparent tout l’espace mental collectif. Difficile de tenir une réflexion articulée sur la présence numérique des gens, sinon par ses ratés : conditions pathologiques de dépendance au web, Facebook comme vecteur de violence psychologique entre jeunes, prédateurs sexuels, au mieux commence-t-on à envisager la gestion de l’héritage numérique de personnes décédées…

La construction de soi, le développement en ligne d’une facette professionnelle, l’économie de l’attention et le recentrement des médias sociaux autour d’un meilleur modelage des visages de soi présentés au monde demeurent les parents pauvres de la réflexion. À peine entame-t-on le lent processus d’intégration de modules de digital literacy dans les cursus académiques. Paradoxalement, cette réflexion avancera en raison des dérapes (para-)juridiques… Triste, mais au moins efficace…

L’entrée du livre numérique dans le paysage culturel fait encore abstraction des usages concrets des livres. Le livre continue d’être considéré comme une pratique unique, avec des configurations statiques et une seule conception de la lecture. Et c’est le modèle du roman qui l’emporte (il faudrait revenir sur ce que ça représente, symboliquement parlant). ePub, pdf et livres-applications sont modelés en fonction de cette lecture continue, balisée par les chapitres (qui sont des repères plutôt que de réelles sections) et où l’on n’a pas à s’y retrouver autrement que par les fonctions de signets (proposées à l’interne par les logiciels de lecture). Conception bien étroite de cet objet polymorphe…

Comment inscrire la poésie sous format ePub ? Comment arriver à gérer facilement (côté éditeur) les tableaux et nombreuses notes en bas de page des ouvrages scientifiques dans un ePub ? Quel protocole de citation utiliser (ou inventer!) pour les ouvrages à recomposition paginale (sous format ePub) ? [Amazon aurait avancé de ce côté sur le Kindle, mais suivant le principe du livre homothétique : la page indiquée est celle de la version papier.] Que dire des manuels destinés au monde scolaire ?

Sur ce point, enfin, émerge de nouveau la question de la saisie de notre bibliothèque numérique. Des pdf sur nos portables, des ePubs dans huit logiciels différents sur iPad ou autres tablettes, des livres en ligne ou des livres-applications. Comment s’y retrouver, avec la croissance phénoménale de la disponbilité des livres numériques ? Les usages des livres dépassent la simple représentation sur pseudo-tablettes de bois des icônes de livres (ah nostalgie). Il faut pouvoir s’y retrouver — et tout mettre en local, ou à l’inverse tout mettre dans les nuages, ne réussit pas à résoudre cette difficulté. Et cette difficulté jouera profondément sur l’adoption réelle d’usages de lecture numérique, au-delà du caractère séduisant des supports technologiques proposés.

La littérature numérique se définit de plus en plus comme la jonction de deux courants : l’expérimentation associée à la littérature hypermédiatique et la conversion numérique de la littérature conventionnelle. Si les premières œuvres de littérature en contexte numérique tablaient résolument sur la différence médiatique (hypertextualité, intégration de matériaux graphiques, audio et vidéo), leur progression actuelle tend pourtant à revenir à une approche plus texto-centrée (ce qui n’empêche pas, signalons-le, le développement de pratiques artistiques hypermédiatiques où l’hybridité entre arts visuels, vidéo et texte est fondamentale). La réception soit mauvaise soit rarissime de cette production a semble-t-il conduit certains créateurs à revenir dans le giron littéraire, replaçant la réflexion sur les possibilités du texte dans un horizon d’attente qui ne soit pas complètement à construire. À l’inverse, la transposition d’œuvres littéraires sur support numérique et la création littéraire en contexte numérique (blogs, wikis, publication directement numérique) ont lentement assimilé les possibilités technologiques.

Résultante : des œuvres comme Accident de personne de Guillaume Vissac. Celle-ci est constituée de courtes descriptions de personnes ou de situations, liées à une circonstance du réel (ces « accidents de personne », autant de tentatives de suicide dans les transports en commun en France). Pourtant, il y a une forte proximité avec des expérimentations antérieures (253 de Geoff Ryman), par les hyperliens entre les descriptions ; la technologie est sous-jacente, par la version 1 de l’œuvre envoyée par Twitter (ses 140 caractères) et ces liens omniprésents. La dimension littéraire est patente : force d’évocation du langage, caractère imagé de la prose en raison de sa concision, anaphore structurant les fragments… L’œuvre manifeste l’intégration transparente de procédés technologiques, refusant de faire de la présence de ceux-ci une démonstration explicite.

Il est difficile d’imaginer comment se stabilisera cette négociation entre le texte et sa technique ; probablement bougera-t-elle constamment, la littérature refusant certaines innovations pour ensuite les faire entrer par la porte de côté. Peut-être y a-t-il là la prémisse d’une compréhension plus fine, moins techniciste, de la culture en contexte numérique : la relation de refus puis d’acceptation, constamment réitérée, schématisant bien les transformations observables dans le champ littéraire (ou artistique) — sorte de poétique de la saccade.

Évidemment, cet état des lieux, bien parcellaire, l’est encore davantage par le regard que je décide de porter sur le monde de l’édition, du livre et de la littérature en contexte numérique. À l’heure de cette frénésie pour ce qu’on appelle (de façon contestée) la curation, ces regards singuliers importent encore plus qu’auparavant, en autant que ces singularités se conjuguent au pluriel de leurs manifestations. À vous la parole…

Share