Ramener à soi (qu'est-ce que l'interdisciplinarité ?)

Une discussion a eu lieu sur la liste Humanist à propos de la tendance, en régime interdisciplinaire, à tout ramener à soi, à lire une autre discipline à partir des repères d’une discipline première. Willard McCarty entamait la réflexion à partir d’une citation de Lubomir Dolezel :

The contemporary researcher is engaged in a losing struggle with the information explosion. The struggle is especially desper-ate in interdisciplinary research, where no one can master all the published literature in all the special fields. As interdisciplinary investigations become more and more necessary, they become more and more difficult. An easy way out of this difficulty is to interpret the problems of other disciplines in terms of one’s own. This practice is typical of quite a few humanists and theorists of literature. While claiming to cultivate interdisciplinarity, they give philosophy, history, and even natural sciences a « literary » treatment; their complex and diverse problems are reduced to concepts current in contemporary literary writing, such as subject, discourse, narrative, metaphor, semantic indeterminacy, and ambiguity. The universal « literariness » of knowledge acquisition and representation is then hailed as an interdisciplinary confirmation of epistemological relativism and indeterminism, to which contemporary literati subscribe. (« Possible Worlds of Fiction and History », NLH 29.4 (1998): 785-809)



McCarty ajoute lui-même, quelques messages plus tard, cette idée du centre, qui tend à présenter les choses dans une autre perspective :

As for the baggage, for the limitations of being centred somewhere, I think of the ancient formula, « centrum ubique, circumferentia nusquam », « centre everywhere, circumference nowhere », or as Northrop Frye said in On Education, « It takes a good deal of maturity to see that every field of knowledge is the centre of all knowledge, and that it doesn’t matter so much what you learn when you learn it in a structure that can expand into other structures » (1988: 10).

Comment envisager ce regard sur une autre discipline ?

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La ville comme un rayon de bibliothèque

John Tolva signale cette belle analogie entre un rayon de bibliothèque et les façades des bâtiments d’une rue urbaine :

seen edge-on a shelf full of books does in a way resemble the variegated facades of an urban streetscape. But more than the physical resemblance, there?s a kind of functional similarity. The front of a building, like the spine of a book, is both its human interface and its metadata. Not only do you judge a book (and a building) by its cover, but you must. This is how we apprehend reality, at least initially.

Impossible de ne pas penser à Italo Calvino, dont la saisie de la nature des villes, dans ses Villes invisibles, est fondée sur une conception sémiotique de la ville : ensemble complexe de signes, mais aussi lieu de stratification (de la mémoire, des signes, de l’histoire d’une civilisation).

Lisant Balzac, Calvino met bien évidence la lecture de la ville telle un langage (ce rapport n’est pas fondé sur l’analogie visuelle, comme le montre Tolva, mais sur son incidence dans une perception sémiotique d’un ensemble complexe) :

Faire d?une ville un roman ; représenter les quartiers et les rues comme des personnages dotés chacun d?un caractère différent ; évoquer figures humaines et situations comme une végétation spontanée qui germe du pavé de telle ou telle rue, ou comme des éléments si dramatiquement opposés à leur cadre que les cataclysmes explosent en chaîne ; faire en sorte que, dans le cours mobile du temps, la vraie protagoniste soit la ville vivante, sa continuité biologique, le monstre-Paris : telle est l?entreprise à laquelle Balzac se sent appelé au moment où il se met à écrire Ferragus. […] Ce qui, désormais, passionnait Balzac, c?était le poème topographique de Paris, suivant l?intuition qu?il eut le premier de la cité comme langage, idéologie, conditionnement de toute pensée, de toute parole, de tout geste, dont les rues ?impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense? […]. (« La cité-roman chez Balzac », Défis aux labyrinthes, tome II, Paris, Seuil, 2003, p. 258-259.)

La piste Calvino me conduit à cette réflexion, petit essai écrit en 1967 :

Pour qui écrit-on un roman? Pour qui écrit-on un poème? Pour des gens qui ont lu certains autres romans, certains autres poèmes. On écrit un livre pour qu’il puisse être placé à côté d’autres livres, pour qu’il entre sur une étagère hypothétique et, en y entrant, la modifie en quelque manière, chasse de leur place d’autres volumes ou les fasse rétrograder au second rang, provoque l’avancement au premier rang de certains autres. (« Pour qui écrit-on? L’étagère hypothétique », Défis aux labyrinthes, tome I, Paris, Seuil, 2003, p. 188.)

Hommage aux urbanistes, écrivains de nos espaces.

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Théorie ou théories ?

Intéressant, cet appel à communications pour un colloque sur la théorie littéraire chez les anglicistes. Notons particulièrement ce passage sur la façon de désigner l’approche théorique :

Il s?agira de faire le bilan de ce qu?on entend par « théorie », et d?envisager les voies de son futur développement. Il s?agira donc de défendre les valeurs que la théorie incarne. A ce propos, deux choses doivent être dites d?emblée. Le mot « théorie » ne se décline qu?au pluriel, ce qui doit inciter ceux qui la pratiquent à la discussion et à la tolérance réciproque, plutôt qu?au repli sectaire et à l?anathème. Et comme ce mot a une existence forte dans la langue anglaise (sous la forme de « critical and cultural theory »), son utilisation doit inciter les anglicistes français à sortir de l?hexagone et à participer aux débats scientifiques européens et mondiaux […]

Faut-il accuser ce caprice langagier d’une telle différence dans notre conception de la théorie : ici une conception monolithique (la théorie littéraire dans la sphère francophone), là la théorie nécessairement à entendre comme les théories, donc une conception multiple, foisonnante, d’où des propositions complémentaires et souvent concurrentes, non érigées en système clos (ce qui est d’ailleurs l’apanage de la théorie littéraire telle que conçue par les francophones) ?

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