À la page

Je me réjouis de voir une (relative) frénésie autour de la question de la page dans les interfaces numériques. Le domaine des livres numériques (ebooks) a accéléré cette réflexion stabilisée depuis la cristallisation des modes de circulation dans l’information avec les navigateurs web. Quelques pistes ici de ce qui s’est tramé récemment (et un peu moins récemment). N’hésitez pas à ajouter d’autres articles / illustrations en commentaires, pour consolider ce bilan, aussi provisoire soit-il.

Du côté des designers web et des penseurs de l’interface :

Capture d’écran 2013-01-14 à 13.45.04

  .

Tout écran n’a pas forcément vocation à être entièrement rempli. De prime abord, il peut être très difficile de faire accepter cette idée : pensez à un écran dont la moitié inférieure est vide et qui envoie donc le signal d’une fin de partie… Mais l’objectif premier est de servir la logique du texte, d’articuler correctement certains passages dont il faut garder la cohésion

   .

Capture d’écran 2013-01-14 à 13.45.21

  .

The inconsistency in which the physical page is mimicked on a tablet leaves readers disoriented, unaware of their position in the context of the greater whole, and unable to easily scan back.

  .

Combattre la page, adapter la navigation dans des interfaces mobiles — choisir l’infinie verticalité :

  .

  •  La version 3.0 du logiciel iBooks, sur iOS, introduit l’infinite scrolling (abandon des pages au profit d’un long ruban de texte — nous voici revenus au temps des papyrus)

ibooks3

  .

  • Instapaper expérimente avec son tilt scrolling : la bascule de l’appareil sur l’axe horizontal fait avancer/reculer le texte

BUFg4AYaPdbtf5cf2Lr0Q3BZ_400

  .

Combattre la page, mais se caler sur l’écran — des navigations compensatoires :

  .

  • Edits Quarterly propose une navigation par écrans, où l’on passe d’une page à l’autre par le curseur vers le bas

Capture d’écran 2013-01-14 à 13.48.01

  .

  • L’idée du flick-scroll : taper sur l’écran, au haut ou au bas, pour avancer d’une page-écran

flick-scroll

  .

  • Snow Fall, un projet du New York Times qui intègre des contenus en fonction de l’avancée dans le texte, de façon fluide, en une forme d’animation

Capture d’écran 2013-01-14 à 13.48.28

  .

  • À contre-courant totalement : une extension Google Chrome qui permet de transformer un contenu vertical en pages-écrans, à la façon d’une liseuse epub ou pdf (le gros chien grognon convient bien à cette illustration…)

unnamed

  .

  .

… De quoi s’amuser pour réinventer notre rapport avec le texte, pour le rendre plus saisissable immédiatement et plus flexible à la fois.

Addenda : comme Olivier Ertzscheid repropulse son article sur twitter (merci à lui), j’ajoute le lien ici : De quoi la page web est-elle le nom ? Ou l’enluminure du code

Jamais le « web » n’aura été aussi loin de la métaphore qui lui est habituellement associée : celle de la « page ». Cet espace particulier de scénarisation multipartite de discours, ce petit théâtre d’escamotages et d’interactions permanentes que, faute de mieux, nous continuerons d’appeler « page », s’éloigne toujours davantage de l’épure pour s’approcher du combat originel pour l’affirmation d’une pensée : il s’agissait alors de profiter au maximum de l’espace offert, d’en chasser l’absence, pour y inscrire autant de mots et d’images que possible, au risque de la surcharge. Hier le codex comme agrégation de pages en linéarité. Puis l’hypertexte entre livre de sable et la bibliothèque Borgesienne. Aujourd’hui le code. L’essentialité du code. L’enluminure du code. Le code comme enluminure.

Share

4 réflexions au sujet de “À la page”

  1. La page est peut-être un concept réservé à l’univers analogique, où forme et contenu sont analogues l’un à l’autre. Dans l’imprimé, changer de mise en page, c’est ré-éditer. (Le pdf n’est pas une édition, c’est un tirage numérique.) Le numérique, lui, sépare la forme du contenu, c’est sa spécificité. La page devient alors qu’un mode de visualisation, d’affichage et de diffusion du contenu. Elle n’est plus jamais fixée. En pdf ou en mode image, on peut même « agrandir » la page, mettre le zoom à 300%, et même si on garde le même écran dont la taille ne change pas.

    Qu’est-ce qui détermine alors la taille de la page? La taille de l’écran? Non. La taille déterminé de son impression sur papier (8 132 x 11)? Non, on peut aussi lire une page format « lettre » dans un écran plus petit! La page devient une zone abstraite de lisibilité, ou d’illisibilité.

    Dans un traitement de texte aussi utilisé que Word, on a le choix entre différents modes d’affichage, dont celui de « page », brouillon, plan, etc. On peut même choisir de ne pas voir la ligne pointillée qui indique où la page, si imprimée, commencera et se terminera. Un fichier numérique ne contient pas de page, mais des instructions encodées pour imprimé en X pages de Y dimensions, ou pour afficher le contenu selon les paramètres du support et de l’écran.

    Dans le numérique, le format d’affichage « page est » composé d’une équation mathématique fondée sur les paramètres complexes qui déterminent l’affichage du contenu dans un support déterminé, dans un moment donné de la lecture, pour un lecteur particulier.

    Peut-être devrions nous plutôt concevoir la « page numérique » comme un territoire techno dont les frontières sont celles de son ère sémantique dans l’univers textuel.

    Ces réflexions sur la « page » se rapprochent à celles qui portent sur le cadre en peinture, et le cadrage en photographie. Ce qui indique peut-être le caractère icononique du concept de page..

Les commentaires sont fermés.