La monographie numérique, ou la goutte au bout du nez

IMG_0733Martyn Daniels faisait écho récemment à une décision radicale de The University of Michigan Press, celle « [to] shift its scholarly publishing from being primarily a traditional print operation to one that is primarily digital ». Rien de moins. Migration de 90% des monographies sur support numérique dans les prochaines deux années, avec béquille assurée par l’impression sur demande.

L’état de l’économie et de la rentabilité de ces entreprises est certainement en cause (d’où probablement le bel euphémisme de Daniels : « University presses are experiencing challenging times and are adapting and changing. » !) Mais je reste toujours perplexe devant l’inconscience médiologique des acteurs du monde du livre savant. Car la myopie est flagrante : ce que l’on observe, c’est la débandade du marché de la monographie savante, en lien direct avec la difficulté de rentabiliser un titre. Dépasse-t-on ce constat? Phénomène plutôt rare.

Deux éléments à prendre en compte :

— La surenchère de la production scientifique sous cette forme fait en sorte que le marché est saturé (et les chercheurs itou). À titre indicatif, dans la lettre d’information bimensuelle de Fabula que je viens de publier à l’instant, la section Publications (regroupant revues, collectifs, monographies) compte 116 entrées, ce qui est un nombre très moyen… tout ça dans le seul champ Études littéraires, dans le domaine francophone (principalement). 116 nouvelles publications signalées en deux semaines ! Et question de faire jouer les statistiques : près de 7 800 annonces de parution depuis 10 ans. Saturation, disait-on ? Et le réflexe de Daniels est de se réjouir du maintien de la cadence :

Interestingly and refreshingly in today’s climate the shift is claimed not to be designed to save money, but to make better use of the money being spent on the press and no jobs will be eliminated.

— Le point le plus sensible est probablement celui qui est le moins lié à une question d’économie de marché… c’est la problématique du livre savant. Les études littéraires, comme certaines autres disciplines des sciences humaines, restent particulièrement attachées à la brique (à la monographie volumineuse et parfois verbeuse), alors que plusieurs autres disciplines (pas nécessairement toutes du domaine des sciences inhumaines) ont considérablement fait bouger les paramètres de ce qui est recevable, disciplinairement parlant, comme contribution scientifique. C’est donc ici un très beau cas de médiologie. Nous convenons aisément que la prose académique impose un format au livre qui la reçoit ; mais acceptons-nous de considérer que le support que nous utilisons conditionne notre propos ? Et de façon encore plus sensible : acceptons-nous même l’idée que la monographie puisse délaisser sa place comme étalon de la recherche littéraire aboutie ? qu’elle délaisse le support du livre pour s’incarner sur de nouveaux supports (et ainsi, potentiellement, délaisser le filé du discours qui le caractérise [cf. Barthes, « Littérature et discontinu »]) ?

La myopie est trop grande actuellement dans la sphère scientifique : obsédés par la goutte qui leur pend au bout du nez, ses acteurs ne voient pas le tournant qui approche et qu’ils risquent de manquer. Et ce n’est pas d’abord une question de papier et d’octets.

Pas lu/visionné mais lié : « Future of the Book : Can the Endangered Monograph Survive? » et Christine Borgman, « Scholarship in the Digital Age » (et son ouvrage du même titre)

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Fabulation (TED + SXSW + cité + université ?)

Discussion spontanée, réunion de l’ITIS (avec Stéphane Gauvin, Thérèse Laferrière) : évoquer un hybride TED talks / SXSWi à Québec, langue française, arrimé à l’université, à la ville, aux bibliothèques, avec des déclinaisons éducatives (présentations publiques des invités + interventions dans des classes au secondaire ?), avec un versant web, maillage éducation / technopôle St-Roch… Complètement fou.

 


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Québec Horizon Culture, suite et f…

1287662990_162da7a35a_mC’était hier. Très largement, l’événement avait l’allure d’une grand-messe — même si quelques figures ont tenté d’insuffler une dynamique carnavalesque à la rencontre. Beaucoup d’annonces, d’argent, plusieurs plaidoyers, souvent un même discours : soutenir à tout prix. Difficile d’être contre la vertu… Quelques observations, à titre de post mortem :

– ce gros show de chaises avait la principale qualité de susciter un show de coulisses : les gens se sont parlé, des rencontres ont pu être provoquées, des hasards ont placé les uns et les autres sur des trajectoires convergentes ; il faut rendre à l’événement ce bénéfice de favoriser le réseautage, car la très large partie des participants présents étaient du milieu culturel (et non strictement du milieu des affaires) ;

– le ton des interventions (dites planifiées ou spontanées, quelle différence ?) était variable, de l’auto-congratulation des quelques personnes d’affaires présentes (qui, en ayant les moyens de leur support, ne pouvaient rien faire d’autre que d’étaler leurs moyens…) aux demandes d’aide des autres, d’annonces de projets déjà bien ficelés à celles d’initiatives qui ont pu être financées sur-le-champ, par la magie de l’événement ;

– qui était invité ? la question reste difficile à répondre : de toute évidence, c’est le champ restreint de la création culturelle et artistique qui était visé, au sens le plus restreint — exit les musées, les institutions d’enseignement, les fonds de recherche… —, et encore, avec une touche bien sentie du côté du techno-culturel (d’où le cri des gens de l’univers du cirque, de la chanson et du disque, pour ne penser qu’à eux) ; c’est une vision bien ciblée de la culture qu’on a privilégiée — peut-être le fallait-il ? mais encore aurait-il été prévenant d’être plus explicite ;

– qui était là ? bien des gens n’ont pas été appelés à la barre (forcément pour des raisons liées à une vision, cf. paragraphe précédent) ; toutefois, je crois que le post mortem de l’organisation devrait s’inspirer d’un examen minutieux des organismes représentés dans l’assistance : bien des gens (et par là des organismes) étaient présents, constituant des antennes pour les secteurs a priori non invités, en périphérie de la conception étroite de la création culturelle et artistique… en soi, l’intérêt et la participation de ces gens témoignent de l’envergure de l’événement, et de ses retombées possibles — pourquoi ne pas commencer par aller chercher les commentaires, les suggestions, les perceptions, les idées de ces participants, et de là entamer le dialogue souhaité ?

– enfin, je me désole de la présence fantomatique de l’Université Laval : quelques rares têtes repérées dans l’assistance, une présentation trop peu engagée/concrète/inspirée de sa direction (où les statistiques de diplomation avaient valeur d’argument), absence des secteurs arts, littérature et culture dans cette planification de l’horizon de la ville — aussi bien continuer à croire que le campus n’appartient pas à cette ville.

Je me réjouis enfin de la place réservée à la littérature — je ne me faisais pas d’illusion… Mais le dynamisme de Gilles Pellerin et de l’équipe de l’Institut canadien / Gabrielle-Roy a permis de faire émerger ce volet de la culture, a priori peu versé dans le techno-culturel (il n’y a vraiment que le titre de G@brielle-Roy 2.0, qui ne me plaît guère, qui laissait croire à cette filiation techno). Une chance que les acteurs municipaux sont là pour insuffler une vitalité à la littérature dans la cité.

 

(photo : « The Ivory Tower is Covered in Ivy », Billie/PartsnPieces, licence CC)

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Y aura-t-il dialogue ? (@RLabeaume, @CSt-Pierre)

3134874243_ce6870e16f_mJe me joins à la voix de quelques têtes bouillonnantes de Québec pour interpeller le maire Régis Labeaume et la ministre Christine St-Pierre, dans le dossier de la culture à Québec pour les prochaines années. Le sommet Québec Horizon Culture permettra d’initier le mouvement de réflexion collective sur cette problématique, mais il ne faut pas compter sur ce seul événement pour gérer la question définitivement…

Par ailleurs, l’obsession économique de la culture qui entoure l’horizon constitue une paire d’œillères assez phénoménale, qu’il faut trouver à contrer : un vrai dialogue est attendu, et les interlocuteurs, de ce côté-ci, sont ouverts.

Vos voix doivent se joindre aux nôtres si vous partagez ce souhait de poursuivre des échanges réels entre les milieux culturels, politiques, économiques et technologiques — signalez-le dans les commentaires ou republiez vous-même la lettre. Un message clair doit être envoyé aux dirigeants…


 

 

 

 

Madame la Ministre,

Monsieur le Maire, 

Vous coprésiderez dans quelques jours Québec Horizon Culture — un rendez-vous auquel ont été conviés artistes et leaders culturels, gens d’affaires et de technologie, citoyens et élus pour échanger sur leur vision et sur les moyens à mettre en place pour favoriser le développement culturel de la capitale.

Jeunes, entrepreneurs, créateurs, travailleurs dans le secteur de la culture, de l’éducation ou des technologies, voyageurs, nous avons été interpellés par votre invitation et plusieurs d’entre nous seront présents au Centre des Congrès lundi prochain. Vous avez suscité chez nous de grandes attentes parce que nous espérons que cet événement marquera le début d’une nouvelle approche du développement de notre ville.

Nous nous réjouirons bien sûr des annonces qui pourront être faites à l’occasion de l’événement, pour l’ensemble de la ville et pour le quartier Saint-Roch, en particulier. Nous ne doutons pas que les institutions et les organismes qui s’en verront gratifiés le méritent, mais nous espérons plus. Nous espérons aussi autre chose.

Nous espérons vous entendre dire que le rôle des leaders politiques et des institutions n’est pas de réfléchir à la place des citoyens, mais de les aider à imaginer et à créer ensemble l’avenir de leur ville. Nous comprenons qu’il vous paraissait nécessaire de procéder dans le secret pour mettre Québec Horizon Culture sur les rails, mais cela nous semble une manière anachronique d’exercer le leadership.

Nous espérons que la négociation institutionnelle et la consultation de vos réseaux d’influence traditionnels sont maintenant achevées et qu’un dialogue direct et continu avec les créateurs, les artistes, les entrepreneurs et les citoyens en général pourra débuter. Nous espérons qu’à l’instar de nombreux leaders modernes, vous vous appuierez notamment sur Internet pour tirer profit de l’intelligence collective des citoyens — et que vous vous inspirerez pour cela des meilleures pratiques en vigueur dans le monde.

Nous espérons que tous les citoyens de Québec seront invités à monter à bord du TGV Québec Horizon Culture et que nous ne découvrirons pas qu’il s’agit seulement d’un nouveau convoi de marchandises à l’allure revampée. Nous espérons aussi que des mécanismes de suivi seront mis en place, dès la semaine prochaine, afin de s’assurer que les attentes suscitées pourront être comblées.

Vous savez tous les deux faire preuve d’une très grande énergie et d’une impressionnante capacité pour lancer des projets. Nous avons de la fougue et de l’énergie et nous souhaitons pouvoir les mettre à contribution pour la mise en œuvre du plan d’action qui sera issu de Québec Horizon Culture — pour autant qu’on puisse s’en sentir partie prenante.

Il ne s’agit pas tant pour nous de trouver à se faire entendre le 16 février. Nous visons plutôt à formuler dès maintenant notre souhait de prendre part à une véritable conversation au sujet de l’avenir de la Capitale. Et, pour cela, nous croyons que l’essentiel est de relier les gens de façon innovatrice, de faire se rencontrer des idées et de permettre l’émergence d’un futur dans lequel nous souhaiterons investir toute notre vitalité et notre créativité — plus encore que d’organiser une autre rencontre au sommet.

C’est sur cette ouverture que nous avons le plus envie de vous entendre et de vous voir poser des gestes — en particulier pour faire en sorte que chacun ait les moyens de prendre part à cette conversation et que survienne la rencontre tant souhaitée des milieux de la culture, de la technologie et des affaires.

Vous pourrez dès lors compter sur nous.

Jean-Sébastien Bouchard, Associé fondateur, Grisvert
Julie Marie Bourgeois, travailleuse culturelle
Michael Carpentier, Associé fondateur, Zengo.ca
Philippe Dancause, Associé fondateur, Grisvert
Clément Laberge, Vice-président Services d’édition numérique, De Marque


 

 

 

Vous voulez joindre votre voix ? Signalez-le dans les commentaires.

 

(photo : « Concrete Dialogue & Him », Moti Krispil, licence CC)

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