Du livre au numérique, une littérature se réinventant

115805043_c5dac1db3c_m1.jpgFrançois Bon, partant des Conseils aux jeunes littérateurs de Baudelaireréfléchit au déplacement de la littérature sur le continuum livre — numérique :

le numérique désormais crée ses propres auteurs. Il me semble qu’on va de moins en moins prendre à la légère cet axiome : les auteurs qui naissent par le numérique accomplissent la vieille fonction littéraire […]. Les auteurs nés par le numérique, dans leur diversité de pratique, constituent à la fois le visage actuel de la littérature, mais aussi le renouveau de ses fonctions. Ils ont peu à peu la charge de la continuité, de la transmission, que n’assument plus les instances traditionnelles […] c’est là où l’approche collective que représente l’Internet d’aujourd’hui est devenu en deux ans un acteur majeur, qui reste en partie inconnue à ses propres participants, tant il ne vaut que par le collectif.     

Il y a là, il me semble, l’une des premières affirmations de cette intervention majeure de la communauté, du collectif, dans la transformation que le support numérique peut opérer sur les tenants et aboutissants de la littérature. Non pas le fait que cette mutation soit prise en charge par des conglomérats commerciaux aux reins suffisamment solides, au contraire : FBon insiste sur l’horizontalité des mouvements de redéfinition de l’édition littéraire. Des acteurs, des instances de médiation, tous plongés dans une économie/écologie aux principes encore à définir et à inventer. Et FBon de poursuivre sur le rôle capital d’une computer literacy au sens large :

Nos usages de l’information, du partage et de l’acquisition de savoirs, nos apprentissages, aussi bien que nos échanges privés et professionnels passent par le numérique. La réflexion sur le langage, sur le monde, sur la représentation, que nous installons progressivement s’appelle littérature. Il y a une disproportion d’évidence : ce que nous nommons le « contemporain » (ou bien « la littérature en train de se faire », au temps de Digraphe) est une part minime, silencieuse, discrète. Néanmoins, elle peut être le lieu sismique du basculement.    

Littérature comme témoignage du mode contemporain d’appréhension du réel, comme incarnation de nouvelles modalités d’expression de cette réalité, d’où la mobilisation de nouveaux outils, de nouveaux instruments adaptés à cette saisie du monde : voilà certainement l’une des lectures les plus fascinantes de l’inscription de la littérature dans l’univers numérique, qui se fait non par un geek illuminé (aussi sympathique soit-il!), mais par quelqu’un qui provient de la littérature au sens conventionnel du terme, qui travaille à cette transition et qui se permet de voir au-delà. (photo : « numeral types », threedots, licence CC) 

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Wikipedia et son Moyen Âge

The work of a scribeÀ travers un épique récit de l’histoire de Wikipédia (mais surtout de ses propres péripéties), Nicholson Baker fait le compte rendu de l’ouvrage Wikipedia: The Missing Manual
de John Broughton. Approche jubilatoire : récit des premières expérimentations, traces des différentes cultures ayant eu cours au sein de ce projet, puis relation des tentatives de Baker lui-même de s’inscrire dans la communauté des éditeurs de Wikipédia.

After bovine hormones, I tinkered a little with the plot summary of the article on Sleepless in Seattle, while watching the movie. A little later I made some adjustments to the intro in the article on hydraulic fluid—later still someone pleasingly improved my fixes. After dessert one night my wife and I looked up recipes for cobbler, and then I worked for a while on the cobbler article, though it still wasn’t right. I did a few things to the article on periodization. About this time I began standing with my computer open on the kitchen counter, staring at my growing watchlist, checking, peeking. I was, after about a week, well on my way to a first-stage Wikipedia dependency.

Et tranquillement Baker de se révéler un inclusionniste dans l’âme, questionnant l’attitude de plusieurs visant à sabrer dans les pages qui ne sont pas justifiées par un sujet notable.

At the same time as I engaged in these tiny, fascinating (to me) « keep » tussles, hundreds of others were going on, all over Wikipedia. I signed up for the Article Rescue Squadron, having seen it mentioned in Broughton’s manual: the ARS is a small group that opposes « extremist deletion. » And I found out about a project called WPPDP (for « WikiProject Proposed Deletion Patrolling ») in which people look over the PROD lists for articles that shouldn’t be made to vanish. Since about 1,500 articles are deleted a day, this kind of work can easily become life-consuming, but some editors (for instance a patient librarian whose username is DGG) seem to be able to do it steadily week in and week out and stay sane. I, on the other hand, was swept right out to the Isles of Shoals. I stopped hearing what my family was saying to me—for about two weeks I all but disappeared into my screen, trying to salvage brief, sometimes overly promotional but nevertheless worthy biographies by recasting them in neutral language, and by hastily scouring newspaper databases and Google Books for references that would bulk up their notability quotient. I had become an « inclusionist. »

Et on entre là dans un monde virtuel, plus près du jeu que de la communauté scientifique (car ça se révèle un terrain de jeu pour querelles et jeux de pouvoir typiques de l’enfance. Se pose la question du canon (« Still, a lot of good work—verifiable, informative, brain-leapingly strange—is being cast out of this paperless, infinitely expandable accordion folder by people who have a narrow, almost grade-schoolish notion of what sort of curiosity an on-line encyclopedia will be able to satisfy in the years to come. ») ; émerge la problématique de la définition de ce projet, dont Baker rappelle qu’il est en fait mené par un nombre très restreint d’éditeurs qui imposent leur vision d’une encyclopédie libre et ouverte — pourtant régie par des règles très sévères, pourtant constamment patrouillée par des éditeurs et des logiciels évitant sa propre implosion en raison de modifications humoristiques ou malveillantes.

Le plus stimulant, outre la prose jubilatoire de Baker, c’est certainement le mode d’autorégulation de cette communauté, qui est à l’évidence game-driven — tiens, un peu comme l’est le Nomic, mais avec une dose de responsabilité culturelle et politique, avec un sens du devoir.

Ce qui nous manque pour l’instant, c’est encore une lecture comparée des dynamiques sociales propres aux sphères linguistiques (on ne parle jamais que du Wikipédia de langue anglaise). Comment se gèrent les tensions colonialistes dans la sphère hispanophone? Quelle vision du monde est proposée par des encyclopédies issues de langues qui ne sont pas parmi les trois ou quatre lingua franca mondiales?

Baker conclut son expérience comme il clôt son texte :

I think I’m done for the time being. But I have a secret hope. Someone recently proposed a Wikimorgue—a bin of broken dreams where all rejects could still be read, as long as they weren’t libelous or otherwise illegal. Like other middens, it would have much to tell us over time. We could call it the Deletopedia.

(via Willard McCarty, Humanist) (photo : « The work of a scribe », glynnish, licence CC)

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The April 16 Archive

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The April 16 Archive uses electronic media to collect, preserve, and present the stories and digital record of the Virginia Tech tragedy of April 16, 2007.

The April 16 Archive, projet élaboré par des gens de Virginia Tech, se donne comme seule mission : « Collecting and Preserving the Stories of the Virginia Tech Tragedy ». Cette initiative, il faut le souligner, a été mise en place avec rapidité, pour tenter de fixer la mémoire en dehors de la seule trace qu’en laissent les médias.

Au-delà de la mission d’exutoire, de sa visée cathartique, c’est à la préservation de la mémoire que ce projet est dédié :

The April 16 Archive is part of ongoing efforts to use the Internet to preserve the past through « digital memory banks, » with these records accessible to a wide audience for generations to come.

On se questionnera peut-être sur la participation de la population locale à cette initiative: y aura-t-il appel explicite à collaboration ? Comment ces histoires parviendront-elles au site ? Se fie-t-on simplement au besoin de s’exprimer des gens pour alimenter cette archive ? Comme il s’agit de faire passer le souvenir personnel dans la zone de la mémoire collective, il y a nécessité de générer des embrayeurs ? moteurs de la migrance de soi vers le commun. Espérons que ce projet saura contribuer à développer cette conscience partagée du passé, du monde.

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