John Tolva signale cette belle analogie entre un rayon de bibliothèque et les façades des bâtiments d’une rue urbaine :
seen edge-on a shelf full of books does in a way resemble the variegated facades of an urban streetscape. But more than the physical resemblance, there?s a kind of functional similarity. The front of a building, like the spine of a book, is both its human interface and its metadata. Not only do you judge a book (and a building) by its cover, but you must. This is how we apprehend reality, at least initially.
Impossible de ne pas penser à Italo Calvino, dont la saisie de la nature des villes, dans ses Villes invisibles, est fondée sur une conception sémiotique de la ville : ensemble complexe de signes, mais aussi lieu de stratification (de la mémoire, des signes, de l’histoire d’une civilisation).
Lisant Balzac, Calvino met bien évidence la lecture de la ville telle un langage (ce rapport n’est pas fondé sur l’analogie visuelle, comme le montre Tolva, mais sur son incidence dans une perception sémiotique d’un ensemble complexe) :
Faire d?une ville un roman ; représenter les quartiers et les rues comme des personnages dotés chacun d?un caractère différent ; évoquer figures humaines et situations comme une végétation spontanée qui germe du pavé de telle ou telle rue, ou comme des éléments si dramatiquement opposés à leur cadre que les cataclysmes explosent en chaîne ; faire en sorte que, dans le cours mobile du temps, la vraie protagoniste soit la ville vivante, sa continuité biologique, le monstre-Paris : telle est l?entreprise à laquelle Balzac se sent appelé au moment où il se met à écrire Ferragus. […] Ce qui, désormais, passionnait Balzac, c?était le poème topographique de Paris, suivant l?intuition qu?il eut le premier de la cité comme langage, idéologie, conditionnement de toute pensée, de toute parole, de tout geste, dont les rues ?impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense? […]. (« La cité-roman chez Balzac », Défis aux labyrinthes, tome II, Paris, Seuil, 2003, p. 258-259.)
La piste Calvino me conduit à cette réflexion, petit essai écrit en 1967 :
Pour qui écrit-on un roman? Pour qui écrit-on un poème? Pour des gens qui ont lu certains autres romans, certains autres poèmes. On écrit un livre pour qu’il puisse être placé à côté d’autres livres, pour qu’il entre sur une étagère hypothétique et, en y entrant, la modifie en quelque manière, chasse de leur place d’autres volumes ou les fasse rétrograder au second rang, provoque l’avancement au premier rang de certains autres. (« Pour qui écrit-on? L’étagère hypothétique », Défis aux labyrinthes, tome I, Paris, Seuil, 2003, p. 188.)
Hommage aux urbanistes, écrivains de nos espaces.