Revues savantes : comment combler le vide entre l'intelligence collective et l'intelligence collaborative ?

Je reste (encore) avec un air de perplexité devant un système de tags.

Peut-être suis-je conservateur (eh ben). Peut-être suis-je trop ancré dans mon milieu disciplinaire (peut-être). Peut-être suis-je encore trop centré sur la valeur des lieux éditoriaux ? et par là sur l’usager.

Wired nous reflanque au visage un article sur les open peer-reviewed journals. Ouep, intéressant. Mais encore.

Ça me paraît un étrange réflexe que de toujours tenter de boucher les trous, de combler les lacunes du système actuel. Car il est évident que le mode de validation du savoir scientifique, l’évaluation par les pairs, connaît des ratés, des ratés qui concernent tout particulièrement la soumission des articles et leur sanction. Ainsi donc, les nouveaux prototypes visent à contourner les points faibles du système. La complaisance des pairs dans l’évaluation (ou leur sadisme), la lourdeur/lenteur du processus et son institutionnalisation n’en sont pas les moindres désagréments.

Vouloir supplanter ce processus en offrant un lieu régi par un principe d’open peer-review ? voilà ce qu’offre PLoS ONE, auquel réfère l’article de l’Associated Press, repris par Wired. Que cela donnera-t-il ?

« If we publish a vast number of papers, some of which are mediocre and some of which are stellar, Nobel Prize-winning work — I will be happy, » said Chris Surridge, the journal’s [PLoS ONE] managing editor.

Hourra, nous avons trouvé solution au problème…? Mais qui saura identifier le Nobel-Prize winning work avant que l’académie danoise se réunisse ?


Autre problème relié au principe du peer-review : les fausses recherches (et les articles fantaisistes qui en découlent). C’est ce que veut combattre la revue Philica, également citée en exemple dans cet article. Leur façon d’envisager le problème ?

« Imagine if somebody puts up absolute garbage, you will have plenty of reviews that will say, ‘This is terrible, terrible, terrible,' » he said.

Et si c’est tellement stupide que personne ne le dit ? et si personne qui soit suffisamment informé du domaine ne passe par là pour témoigner du caractère poubellistique de l’article ?

Ce qui me gêne (rétrograde que je suis), c’est cette attitude exclusivement centrée sur le pôle « production » des lieux de publication, sans égard au pôle opposé, constitué des chercheurs, enseignants et étudiants qui veulent bien profiter de cet avancement de la science.

Qu’est-il advenu, en ce monde de relativisme, du caractère fiable de l’information ? Quid de l’autorité rattachée à un lieu de publication, à l’éditeur ? De crainte de se faire reprocher de trancher une question, de prétendre au caractère irrecevable de telle proposition, on refuse d’endosser le statut d’autorité, d’affirmer que les articles publiés dans telle revue sont fiables (en fonction de l’état actuel des connaissances) ?

Ce désengagement, ce report de l’autorité au lecteur, il est bien vertueux dans un monde complexe et nuancé comme le nôtre, mais il est peu opératoire à l’intérieur du monde académique (tant pour l’enseignement que pour la recherche). On aura beau toujours prétendre au principe des filtres, qui jouent ce rôle d’orientation (j’en suis le premier défenseur, comme plusieurs autres). Mais l’aplanissement total du jugement collectif finit par alourdir le processus pédagogique et embourber le processus de recherche scientifique.


C’est sûrement de ce point de vue que le principe du tagging me laisse pantois. Il y a désengagement général, mais lorsque vient le temps de tout inscrire dans une dynamique sociale, l’engagement revient à la mode. J’ai bien aimé tomber sur le graphique de Ross Mayfield (via jilltxt) à propos de la Power Law of Participation. Gradation de l’engagement, donc :


Power Law of Participation

Ce qui me hante, ce n’est pas la long tail ni le « corps » de la bête, constitué par l’engagement officiel et institutionnel. C’est cet entre-deux, d’où la queue prend naissance, quelque part entre le comment et le write. Zone qui s’étire, qui se démarque de la superficialité de la lecture taggante et qui n’est pas encore pris dans le système. Network ? Oui, bien sûr. Mais comment trouve-t-il à s’exprimer vraiment ?

Du collectif au collaboratif, il y a toute une marge. Que l’on a oubliée actuellement, Flickr venant faire un pied-de-nez aux revues savantes. Mais comment arrivera-t-on à engager les gens suffisamment pour retrouver une trace de ce jugement sur les faits, une hiérarchie dans les savoirs, une validité pour le discours scientifique ? Sûrement pas en ouvrant des forums pour que les chercheurs s’expriment librement sur les articles publiés (l’article cité laisse entendre que les responsables de Nature prennent conscience de la portée limitée d’un tel processus).

Cette zone intermédiaire entre le savoir et le commentaire, dans le cadre des publications savantes, reste à investir. Il faut trouver.

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1 réflexion au sujet de « Revues savantes : comment combler le vide entre l'intelligence collective et l'intelligence collaborative ? »

  1. Très intéressant comme analyse. Il est vrai que l’univers de la publication scientifique est différent de celui de la publication générale. Surtout que la compétition directe entre spécialistes d’un domaine peut être très forte.

    J’aime particulièrement le graphique. Très évocateur.

    Tu nous tiens au courant de l’évolution de ces pratiques?

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