La revue Nature, par son site web, propose un débat sur la question du libre accès au discours critique : http://www.nature.com/nature/focus/accessdebate/ (via Fabula).
La question est particulièrement épineuse dans plusieurs domaines de recherche, en particulier en sciences pures où le rythme des publications et la surspécialisation des périodiques entraînent une explosion littérale des coûts de production et de distribution ? et par conséquent les coûts d’abonnement que doivent absorber les bibliothèques et autres organismes. La « solution » (quelle solution ! Socrate aurait dû y avoir pensé) pour certaines revues consiste à renverser le processus, à savoir de charger des frais aux auteurs qui veulent publier un article (on parle généralement d’un « dissemination fee »…), des bagatelles comme un 1500$ US pour s’assurer que tous les collègues influents du domaine puissent lire le résultat de leurs recherches.
Outre le fait que ce renversement ne fait que déplacer le problème (les universités, par leurs bibliothèques, ne pouvant assumer les frais des périodiques, devront en revanche assurer des fonds aux chercheurs pour qu’ils publient leurs articles…) tout en questionnant la valeur scientifique (et non commerciale) de l’article ainsi publié, cette procédure nouveau genre pose en filigrane la question aiguë de la diffusion du savoir, de ses nouveaux supports (virtuels notamment) et de la réelle valeur de savoirs disséminés sur le net.
Il faut se l’avouer : la culture scientifique et éditoriale en sciences humaines résistera longtemps avant d’en venir à faire payer ses auteurs. Encore que… plusieurs éditeurs, ayant délaissé leur mission d’assumer le risque (financier) des ouvrages qu’ils publient, demandent aujourd’hui aux auteurs de fournir un manuscrit déjà monté et, ce qui n’est pas rare, un engagement financier sous une forme ou sous une autre (l’achat d’une quantité de livres, par exemple). Il se trouve que plusieurs éditeurs patentés en viennent ainsi à être les convoyeurs de publications à compte d’auteur, la caution scientifique de l’éditeur venant en prime (bien qu’elle soit parfois, en raison de ce fait, en chute libre).
Cette situation est toutefois celle des volumes et non celle des périodiques. Dans la sphère spécifique des revues savantes, la culture du milieu des humanités refuse de conjuguer les considérations financières avec l’évaluation scientifique (la caution des pairs). Ce refus se manifeste toutefois concrètement dans les coffres des revues (à sec) et dans le recours incessant aux organismes subventionnaires pour soutenir cette production autrement étouffée par les coûts de production et de distribution.
Si l’on exclut le sentimentalisme autour de l’odeur de l’encre et du papier (qui n’est pas un facteur mineur, ne nous méprenons pas), qu’est-ce qui nous retient de ne pas privilégier davantage les publications sur support numérique ? Mentionnons les craintes perpétuelles de pérennité (comment s’assurer que le site ne sera pas effacé par erreur ?) et de propriété (les textes sont tellement plus sujets à plagiat). À mon sens, un autre élément est celui, tout simplement, de la valeur. Valeur à accorder à ce qui ne se trouve pas fixé sur le papier (engagement scellé par l’encre qui sèche sur le papier). C’est, d’une certaine façon, une profonde question de perception ? nous sommes encore soumis à une méconnaissance étonnante du support numérique.
L’argument le plus spontané qui est évoqué pour décrire l’ambiguïté de la valeur d’une publication sur le net, c’est de dire que se trouvent tellement de choses sur Internet qui ne valent rien. Comment peut-on encore aujourd’hui confondre support et contenu ? Ce commentaire est aussi stupide que de dévaloriser les revues savantes sur papier en se basant sur le principe qu’on retrouve aussi, imprimés sur du papier, des dépliants publicitaires et des revues porno. Pourquoi accorde-t-on une valeur spécifique à Poétique ou à New Literary History, alors que le support est le même que Playboy ? Cette valeur repose sur la reconnaissance d’une direction éditoriale pour ces revues (et de l’autorité de cette direction éditoriale).
Pourquoi en serait-il autrement sur le net ? Pourquoi se laisser berner par des arguments simplistes soutenus par des gens qui refusent en bloc de prêter une valeur à une publication virtuelle ? Il reste très certainement une éducation à faire, celle de la nécessité de repérer les institutions qui se mettent en place virtuellement, celle d’interpréter les codes éditoriaux d’objets sur support numérique pour en arriver à transposer nos repères de lecteurs, de chercheurs à cet univers parallèle mais tout à fait semblable à celui dans lequel nous baignons.
Je serai de ceux qui tenteront prochainement de se colleter à ces préjugés tenaces. On verra bien si les initiatives originales qui jailliront dans les prochains mois, dans les prochaines années auront raison de cette paresse intellectuelle qui fait préférer le confort de l’encre (et qui endosse sans remise en question les coûts de ce choix) à la possibilité (plus rationnelle) d’une publication aux coûts moins élevés, ayant une diffusion plus large, plus rapide et plus efficace (la rationalité de la publication en ligne : c’est là une autre question sur laquelle il faudra revenir…).