De fétichisme, d’aveuglement et de recentrement

 

Et le passage du livre aux images-écran? Je pense qu’il faut éviter d’en faire une fixation fétichiste (sur l’objet) — au détriment du phénomène de création (cela dit même si on parlait du texte, plutôt que du livre).

Clément Laberge, réaction à une lettre ouverte de « 13 étonnés » à propos du (non-) plan numérique du Québec.

 

il n’y a pas de conflit entre le livre et le livre numérique (il peut seulement y avoir paresse à quitter un vêtement pour un autre) – il y a la responsabilité nôtre d’aller explorer, même dans leur imperfection présente, les formes de comment se déplacent les usages du lire – de notre responsabilité d’interroger les récits qui se fondent sur l’appropriation numérique du monde, et ce qui s’induit intérieurement dans le passage en quelques décennies, pour l’image et son usage privé ou social, d’une économie de la rareté à celle de la collection et de la profusion

ne nous dissimulons pas le caractère fétiche du livre : l’utilisation d’appareils photo numérique, la massification des smartphones, ne provoque pas les vagues et les fureurs qui accompagnent la dématérialisation du livre

François Bon, brouillon de son Pecha Kucha à la BNF, dans le cadre des journées PNF-Lettres.

*    *    *

Quelle place faire au numérique ? Le nommer, le décrire, le ghettoïser ? ou l’intégrer dans le continuum de nos pratiques, de nos écritures, de nos lectures ?

Je reste avec le profond sentiment que le mouvement actuel qui tend à vouloir discriminer les pratiques conventionnelles et les pratiques numériques tend à repousser plus avant le souhait des lecteurs de plonger dans ce nouvel univers — si tant est qu’ils n’y sont pas déjà, un peu à leur insu.

N’y aurait-il pas que la culture, dont les moyens continuent d’évoluer, de se moduler, de bouger, au profit de sa complexité et de sa richesse ?

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6 réflexions au sujet de “De fétichisme, d’aveuglement et de recentrement”

  1. >le mouvement actuel qui tend à vouloir discriminer les pratiques conventionnelles et les pratiques numériques tend à repousser plus avant le souhait des lecteurs de plonger dans ce nouvel univers — si tant est qu’ils n’y sont pas déjà, un peu à leur insu.

    Et peut-être que ce qui est intéressant, c’est que la frontière entre l’auteur et le lecteur est devenue diffuse, poreuse. De la même façon que la photographie dans le passé était clairement délimitée par ceux qui avaient accès à un appareil de création/production, ainsi que la création d’une hiérarchie multiple. La photographie est maintenant l’objet de presque tous au moins dans les lieux électrifiés. Ainsi le rôle de l’auteur (celui qui a le pouvoir de créer) n’est plus minoritaire.

    De même dans le monde du texte, la possibilité de créer des œuvres de « littérature » n’est plus le privilège d’un petit nombre avec un système hiérarchique très contrôlé. Non seulement la publication, mais la diffusion, la vente, etc. sont accessibles à tous.

    Créer un auteur et un lecteur comme deux entités séparées en interaction est peut-être le voile qui nous empêche de voir l’agir (écrire, lire) sans autorités pour le limiter et accessible à tous.

  2. Merci Karl du commentaire. Je comprends tout à fait ton point de vue et j’abonde — effacement des statuts monolithiques, horizontalité plus grande.

    De mon côté, je souhaitais plutôt évoquer les lecteurs comme gens étant amenés à entrer en contact avec cette culture numérique que l’on se plaît peut-être parfois un peu trop à isoler des pratiques culturelles en général. Ils ont effectivement cette possibilité de participer, d’écrire, de créer. Ils ont intégré un nouveau rapport avec la culture. Ma crainte, c’est qu’en insistant trop sur le caractère hors de l’ordinaire de cette culture marquée par le numérique, qu’ils ne s’y reconnaissent pas, la technicité repoussant souvent le commun des mortels (par crainte de ne pas être à la hauteur des connaissances appliquées que la technologie demande).

    C’est d’un beau paradoxe dont il est question… mais qui pose la question de l’appropriation par chacun de ces réalités, qui se sont déplacées au fil des années, mais qui restent, me semble-t-il, encore en-dehors de nous dans le propos que nous tenons…

  3. >les lecteurs comme gens étant amenés à entrer en contact avec cette culture numérique que l’on se plaît peut-être parfois un peu trop à isoler des pratiques culturelles en général.

    Mon propos est de justement de ne pas considérer de lecteurs. En réduisant à l’absurde, je dis qu’il n’y a plus de lecteurs (dans le sens d’une catégorie opposée à celle de l’auteur).

    Quant à la « pratique du numérique, » elle fait de moins en moins de sens. Le numérique est là de façon invisible et les gens l’utilisent déjà. Combien de messages textos, emails vs papier.

    Voir par exemple http://www.guardian.co.uk/technology/2011/jul/24/mobile-phones-africa-microfinance-farming

    Je comprends ton intention mais à mon avis la question telle que formulée dans ton billet pose déjà le périmètre qui l’empêche de voir l’abondance des pratiques et du territoire déjà en cours. Instagram, Facebook, Twitter, etc. Les gens créent déjà. Le numérique n’est pas le moteur, il est juste le vecteur (y apportant bien sûr certains effets).

    > Ils ont effectivement cette possibilité de participer, d’écrire, de créer.

    *Ils* c’est déjà créer une catégorie à part. J’ai plus envie de laisser tomber la dichotomie et d’observer ce qui se passe. C’est le pourquoi de mon

    Lire/Écrire (lieu de l’action) vs Lecteur/Auteur (lieu du rôle).

  4. Oui oui, on s’entend bien… la pratique du numérique (elle existe, on ne peut la nier), je dis qu’il faut éviter de la désigner telle, car on la ghettoïse alors qu’elle est partout… nous sommes d’accord !

    Je vise, par ce rappel, à la fois les prétentions de nommer des instances consacrées uniquement au numérique et une certaine nécessité d’un développement de la littératie numérique — dont les effets sont paradoxalement contre-productifs à certains égards. Il faut savoir mettre sur table le fait que le numérique est déjà là, bien intégré sous différentes formes, qu’il faut simplement le voir comme partie intégrante du culturel et du social.

    Mais difficile de ne pas parler des gens, de la population en général… dans certaines circonstances, un «ils » est bienvenu 🙂

  5. reste que c’est le web qui nous fait progresser ensemble et sur ce chemin lui-même, et sur la façon de l’énoncer

    (et bizarrerie de partager cet espace depuis 3 fuseaux horaires aussi disjoints…)

    • Tout à fait François — et pas de doute là-dessus. C’est simplement quand on cherche trop à vouloir définir sa différence que je sens que l’on cultive sa marginalisation, alors que le web est déjà dans nos gestes, dans nos usages, dans nos pratiques culturelles.

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