Contraintes subventionnaires obligent, les revues savantes au Québec sont explicitement invitées à penser à la numérisation de leur production. « On a évité de peu l’abandon pur et simple de l’appui financier pour la production de versions papier des revues », rappelleront certains. N’avons-nous pas seulement fait un léger détour pour y arriver de toute façon ?
C’est ce que semble révéler, en filigrane, la situation actuelle des revues savantes engagées dans la machine Érudit, consortium de développement d’une plateforme unifiée de numérisation des publications savantes.
La mise en place imminente d’un accès filtré aux contenus produits par Érudit révèle au grand jour la logique sous-jacente à cette machine : flirtant avec les modèles commerciaux que sont JStor et Muse, Érudit vise à vendre des contenus aux institutions afin de faciliter la diffusion internationale de l’érudition produite au Québec. L’orientation économique est dominante, et elle porte à réflexion. Le fonctionnement du financement de l’entreprise est d’ailleurs étonnant : la production est assurée par la contribution des revues, qui sont elles-mêmes financées pour cette production par les FQR en échange de leur engagement à participer à cette plateforme (unifiée et par ailleurs unique). La diffusion, en revanche, est financée par les revues à un tiers qui assure la publicité et gère les abonnements électroniques.
Il ne faut pas être futurologue pour voir venir : même si les abonnements électroniques sont aussi coûteux que l’abonnement papier, les institutions comprendront rapidement que l’ère du virtuel mobilise moins de ressources (pas de manutention, pas de stockage, pas de frais connexes). Conséquence : chute dramatique des abonnements papier et démonstration, à moyen terme, de la non-pertinence de financer des revues pour une production papier. Beau et lourd détour pour en arriver au même résultat ; le rôle ingrat d’annoncer la mort du papier n’incombera pas aux subventionneurs, mais à des contingences du marché…