« À travers la porte vitrée de la salle d’attente… »
Les nuages fragmentés en différents lieux
J’aime bien les nuages. Ils sont souvent jolis, parfois pratiques. Mais je reste fondamentalement attaché à l’inscription de mes documents sur un disque dur local, que ce soit par sécurité, par souhait de les manipuler quand/où/comment je veux. Parfait pour la synchronisation, pour les copies de sauvegarde, pour des accès distants occasionnels.
Mais voilà, pour moi, les plateformes mobiles ne sont pas des accès distants occasionnels. Ils font partie de mon quotidien, et la frontière entre les appareils est un irritant. On compose bien maintenant avec le courriel, l’agenda, les contacts. Qu’en sera-t-il pour nos livres numériques ?
D’abord, il y a multiplication des applications : Kobo, Kindle, Ibooks, Stanza, eReader, La Hutte, Wattpad, pour ne nommer que celles que j’ai essayées. Chacune d’entre elles stocke à l’interne les fichiers qu’elle permet de télécharger, et chacune ne peut afficher que ses propres fichiers… C’est sans compter les documents transférés manuellement, stockés dans des applis de transfert comme l’excellent GoodReader (mais interlogiciellement trop limité, malheureusement). Ensuite : comment savoir où se trouve ma copie numérique de Madame Bovary ? Par déduction, je peux éliminer quelques applis (toutes ne donnent pas accès à des œuvres en français), ce qui limite le nombre d’applications à ouvrir pour vérifier — sympathique démarche, s’il en est une. Et totalement ridicule.
Jusqu’à maintenant, la gestion de mes documents numériques était relativement simple. En local, utilisation de Zotero pour référencer une bibliothèque sur mon poste de travail : articles scientifiques obtenus par des banques de données, oeuvres de publie.net que je veux pouvoir consulter hors ligne, documents téléchargés, textes de mes communications, tables des matières numérisés d’ouvrages papier… En ligne, c’est Diigo qui me sert à retenir des pages, des articles en ligne et plusieurs highlights. Mais la frontière tend à s’estomper (je télécharge le Remix de Lessig et le référence dans Zotero ou je le pointe en ligne avec Diigo ?). Et c’est sans compter l’intrusion du iPad, qui fragilise le statut jusque là stable de la bibliothèque locale… Quelle solution pour gérer cette écologie documentaire complexe ?
Une bibliothèque personnelle rassembleuse
Une porte d’entrée unique : voilà ce qui (me) manque. Une porte vitrée, qui me donne simplement à voir. Naïvement, ça me semble possible :
– une application qui pompe les métadonnées des fichiers que je lui pointe (ou des fichiers contenus dans des dossiers) : nul besoin d’un système de tracking des fichiers, simplement une mise à jour à intervalles réguliers qui donne l’état des lieux de mes fichiers ;
– une application qui soit limitée à un support, ce serait déjà bien, mais qui puisse me tenir informé de mes fichiers sur mon poste, sur mes appareils mobiles, sur mes stockages distants ;
– l’application moissonnerait les métadonnées souvent incluses dans les fichiers achetés et permettrait d’en ajouter une couche — pour la description des fichiers non renseignés, pour l’augmentation de la description de façon personnelle (tags, formes de classement).
Forme éclatée ? Pourtant, c’est déjà l’allure actuelle des catalogues de bibliothèques, qui pointent autant des références physiquement rassemblées en un lieu que des ressources en ligne, hors les murs de la bibliothèque… Et ce serait diablement au service des usages, plutôt qu’un gadget jetant de la poudre aux yeux. Un maillon qui ferait de nos quincailleries informatiques des outils pleinement organisables en fonction de nos besoins, et non des béquilles qui nous aident certes à marcher, mais qui nous font claudiquer.
bizarrement, ma façon de vivre ta question, c’est de constater pour moi la centralisation progressive sur un seul appareil (donc le Mac portable) au détriment des autres prothèses (de la Sony à la bibliothèque papier) – si je perds en partie pour la lecture confort (mais désormais, combien d’heures on est sur nos bécanes), cette question de l’accessibilité instantanée et centralisée est de + en + déterminante (fonction Spotlight du Mac, et quand même organisation à peu près rigoureuse du disque dur)
néanmoins, continuité de plus en plus entre le Mac et ce qui est stocké sur serveurs, parce que tellement plus de sécurité, et allègement nécessaire de la machine
difficile aussi de mon côté d’isoler les problématiques textes des problématiques images et musiques : c’est mon agenda Outlook qui me sert pour retrouver photo faite tel jour telle heure (attention donc à y inscrire de temps en temps mentions genre « cimetière Montparnasse » ou « île des Coudres »), ça ne me plaît pas vraiment comme solution – pour la musique, registre via un article blog de ce que j’écoute sur Spotify – en fait, de plus en plus, c’est mon site que je constitue comme un genre de mini Zotero personnel, associant ressources webs, ressources perso et ressources « denses » comme textes numériques
bien enregistré ce que tu dis des exigences métadonnées – pas facile au jour le jour quand on doit lester un de nos textes publie.net
allez, se dire que c’est une grande chance de traverser la préhistoire de tout ça et le voir se constituer sous nos yeux : il y a 2 ans, on n’avait pas encore à se préoccuper de ça
Je comprends ta nuance, François, mais je reste partagé. Oui, plus que jamais, tout converge vers le poste de travail. Mais à la façon que j’ai 9 espaces via mon Finder, j’ai aussi des fenêtres ouvertes sur mon poste par le iPad (qui synchronise mes mails, des fichiers, mes signets, twitter et tutti quanti) et par le ipod touch. Est-ce qu’on en viendra à tout synchroniser nos (relativement lourds) fichiers de livres numériques, comme on synchronise des mails ? En viendra-t-on à être dépendants de services comme Google Docs, Dropbox, iDisk, Evernote pour assurer notre portabilité ? Là-dessus, j’assume mon usage, mais refuse la dépendance.
Pour ma part, la fracture que tu évoques pour les images se fait plutôt sentir entre les fichiers stockés sur le disque dur et la boîte de courriels (tiens, près de 70 000, incluant bien sûr les spams des derniers mois) : pour retrouver un fichier, c’est souvent plus efficace de chercher dans le dossier de mon Mail où se trouve l’échange pertinent plutôt que sur mon disque dur — et c’est en ce sens que je vois possiblement dans Raindrop une forme de solution rassembleuse (je remets ça, oui), parce que le mail, twitter, facebook pour les amateurs se retrouveront à un même plan dans la lecture. Mais si je reviens à cette question du lieu de rattachement des fichiers : pourquoi mes dossiers par projets sur mon disque dur ne sont-ils pas directement liés aux dossiers de courriels équivalents dans Mail ?
Mon questionnement était surtout celui de la saisie de la transformation réelle de la documentation numérique. Si on souhaite que les gens cessent d’imprimer les documents qu’on leur transmet et qu’ils se prêtent à la révolution des livres numériques, il faut (outre les problèmes d’écran, d’encre électronique, etc.) qu’ils sachent qu’ils les ont, ces fichiers, qu’ils y aient accès comme on balaie du regard notre bibliothèque ou les piles de livres sur notre bureau. Si ces fichiers sont perdus dans la hiérarchie de nos disques durs (à 50 niveaux de profondeur) ou s’ils sont cachés dans 8 applications différentes sur notre lecteur mobile et qu’on les oublie là, à quoi bon la révolution numérique ?
en tout cas, questions essentielles – pour moi aussi, le tri temporel et catégoriel fourni par les archives mail reste la plaque tournante essentielle
avec paramètre supplémentaire celui de la fossilisation, du bonhomme d’un côté, des logiciels existants de l’autre – je ne pourrais même pas migrer Outlook vers Mail, problème qui est loin d’être seulement technique
cette question de la dépendance est aussi importante que celle de l’accès matériel à nos ressources, pour ça que j’ai tendance, contrairement à toi, à en rester à des « basiques » question applications et même machines – je préfère user mon MacBook et le changer tous les 18 mois mais rester monomachine
l’allégorie qui me sert le plus souvent, pour trier, ranger, organiser, entretenir, accompagner c’est encore de préférence celle du jardin potager