Démarches préparatoire en vue de l’examen du rôle du manuscrit dans Alan Wake

Pour bien cerner les mécaniques à l’œuvre dans la représentation du manuscrit dans Alan Wake, je convoquerai certains articles savants publiés au cours des dernières années. En l’état actuel de mes observations, il n’existe pas de texte traitant directement du cas du manuscrit dans Alan Wake. Les études suivantes se penchent donc spécifiquement sur la narrativité ainsi que la représentation du livre dans l’univers vidéoludique. Si la narrativité et la conception de la lecture dans le cadre d’un jeu vidéo ont été abondamment examinées dans les dernières années, je dois mentionner que ces études n’en représentent qu’un petit échantillon. Elles me semblent toutefois les plus à même de me permettre de cheminer dans ma réflexion et, ultimement, de proposer une réponse à mon hypothèse de recherche.

Je me tournerai en premier lieu vers les théories fondatrices de Gérard Genette sur la narrativité. Je me pencherai plus spécifiquement sur les concepts de focalisation avancés dans Discours du récit, soit le point de vue à partir duquel nous considérons le narrateur et la diégèse; et le concept de niveau narratif, que Genette définit comme étant « tout événement raconté par un récit est à un niveau diégétique immédiatement supérieur à celui où se situe l’acte narratif producteur de ce récit. » Le manuscrit dans Alan Wake, qui semble posséder sa propre voix, occupe une position particulière que ce concept nous permettra de mettre en lumière. L’ouvrage Seuils me sera aussi important pour définir les particularités paratextuelles de ce manuscrit, particularités que je pourrai étudier en regard du gameplay du jeu et qui influencent la perception que nous avons de l’objet livre. Les textes auxquels je référerai renvoient eux-mêmes à ces deux concepts et voient à les appliquer au domaine du jeu vidéo.

L’article qui me semble le plus éclairant en regard de la recherche que j’entreprends est celui d’Hugo Montembeault et Bernard Perron, « La Focali-saction : Des savoirs narratifs aux faires vidéoludiques ». Cet article traite spécifiquement de la focalisation dans le jeu vidéo. Les auteurs remettront d’ailleurs rapidement en question la portée des théories de Genette : « […] Puisqu’à la base la notion de focalisation réfère à la régulation des savoirs, son application dans le cadre du jeu vidéo ne peut pas se limiter à la seule étude du “discours du récit” ». Montambeault et Perron apportent également des nuances de distinction entre la narration « littéraire » et la narration ludique dans le jeu vidéo. L’une de celles à retenir est que s’il faut considérer les éléments de focalisation d’un point de vue narratif, il ne faut pas négliger les fonctions vidéoludiques qui y sont associées :

Ce raisonnement nous conduit alors à proposer une distinction entre deux types de focalisation dans les jeux vidéo narratifs : d’une part, la focalisation à valeur narrative et empruntée à la tradition littéraire et cinématographique – apprendre entre autres qu’un personnage était ou n’était pas un traître sans que cela n’ait d’incidence sur ce que le joueur a dû faire, comme c’est le cas dans Resident Evil (Capcom, 1996), Half-Life 2 (Valve, 2004) ou Metal Gear Solid 3 : Snake Eater (Konami, 2004) – et d’autre part, ce que nous allons appeler la focalis-action qui concerne la régulation des informations et des savoirs à valeur actionnelle. Nous sommes donc enclins à désigner comme un focalis-acteur, à l’image de l’interacteur [interactor] ou du spect-acteur d’œuvres interactives, l’agent situé à l’intersection des sphères d’agentivité associées par Branigan à l’acteur et au focalisateur. Comme nous l’avons noté, le joueur qui a peur dans un jeu d’épouvante à la troisième personne, ou qui panique lors d’une séquence de combat dans un jeu d’action, se pose en focalis-acteur et l’alterbiographie est davantage la sienne.

 

Mon examen de la représentation du manuscrit devra donc se faire selon deux angles : d’abord comme objet narratif auquel s’appliquent les théories narratologiques, et ensuite comme élément du gameplay d’Alan Wake, vecteur d’un « savoir ludique ». Cette idée est développée par André Gardies dans son article « Le pouvoir ludique de la focalisation ». Malgré que Gardies ait écrit ce texte en ayant en tête le médium filmique, il expose nombre d’idées intéressantes sur la focalisation et le savoir intradiégétique qui me semblent s’appliquer au cas qui m’intéresse. Au demeurant son article inspire les travaux de Montambeault et Perron. J’étudierai donc ce texte en complément de celui précédemment cité.

Je me baserai par la suite sur l’article « Les représentations et les effets de la littérature dans The Elder’s Scrolls », de Hélène Sellier. Malgré son éloignement de mon sujet, Sellier se penche sur le « statut de la lecture dans la pratique du jeu ». Elle déclare que « Cette variété des postures du lecteur permet de comprendre que l’activité de lecture est fondamentalement modifiée par son inclusion dans un contexte vidéoludique. » Cela m’amène à m’interroger sur la variété des approches possibles du manuscrit dans Alan Wake. Il ne semble, à première vue, n’y en avoir qu’une seule, directement guidée par les impératifs diégétiques et les ressorts du gameplay. Le joueur ne peut pas faire ce qu’il veut avec le manuscrit. Les balises sont étroites. Cependant, malgré la pertinence de cette idée des postures du lecteur, je ne sais pas encore si je retiendrai cet article pour mon travail final. Je me laisse la possibilité de l’écarter au profit d’autres travaux qui seraient plus pertinents.

L’article de Thomas Morriset, « Nature de la lecture et matérialité des livres dans les jeux vidéo » m’apparaît plus difficile à aborder. Il n’en soulève pas moins des points pertinents, particulièrement dans le segment « Livre et environnement numérique : consultation et littérature ». Ce texte m’amène à considérer que le manuscrit dans Alan Wake n’est pas un objet solidaire, un tout visant à une transmission claire d’un savoir nécessaire à l’évolution de la diégèse. Il s’agit davantage d’un objet désorganisé, que le personnage-joueur peut aborder dans l’ordre qu’il souhaite, sans que cela n’ait d’incidence sur l’avancée du récit. La conception que Morrisset se fait de l’environnement de lecture (que nous pourrions résumer par « interface ») est aussi à mettre de l’avant et me sera primordiale dans l’examen de mon sujet puisque Alan Wake mobilise ce genre d’interface dédiée à la lecture du manuscrit, et dans laquelle le joueur doit naviguer. Cet article, je crois, pourrait prendre le pas sur celui d’Hélène Sellier, car il semble développer de manière implicite l’idée d’une posture de lecture qui est bouleversée à l’intérieur du jeu vidéo. Une relecture plus fine me permettra de confirmer ou d’infirmer la chose.

Enfin, sans avoir encore pu prendre connaissance de l’ensemble de son contenu, je retiens la possibilité de convoquer l’article de Mieke Bal « The Laughing Mice: Or : On Focalization ». Ce texte semble approfondir la question de la focalisation de Genette, ce qui pourrait m’être utile dans le cadre de cette recherche. Je ne peux toutefois encore l’affirmer; il est donc possible que je ne retienne pas cet article savant.

Ce corpus ne représente qu’une fraction de tous les textes traitants de la narrativité, de la focalisation et de l’objet littéraire en contexte vidéoludique. Je crois toutefois qu’il est à même, autant par un examen des théories fondatrices que des observations récentes basées sur le médium vidéoludique, de m’aider à progresser dans le développement de ma recherche. À tout le moins, ces lectures m’offriront une perspective différente qui me permettra de repenser certains aspects de mon travail. Je laisse donc la porte ouverte à l’ajout de nouveaux textes, particulièrement ceux qui traiteraient directement du cas d’Alan Wake, s’il m’est donné d’en trouver. Je ne souhaite toutefois pas alourdir mon corpus, considérant la longueur allouée à ce travail de recherche. J’envisage donc de me limiter à un maximum de dix textes au total.

 

(Je mettrai ma problématique à jour durant la semaine de lecture. Ces articles m’ont amené à reconsidérer certains aspects de mon hypothèse.)

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BAL, MIEKE, « The Laughing Mice: Or : On Focalization », dans JSTOR, [en ligne]. : https://www.jstor.org/stable/1772198?seq=1&cid=pdf-reference#references_tab_contents [Texte consulté le 24 octobre 2018].

 

GARDIES, André, « Le pouvoir ludique de la focalisation », dans Protée, vol. 16, n°. 1-2 (hiver-printemps 1988), p. 139-145.

 

GENETTE, Gérard, Discours du récit, Paris, Éditions du Seuil (Points essais), 2007, 435 p.

 

GENETTE, Gérard, Seuils, Paris, Éditions du Seuil (Points essais), 1987, 426 p.

 

MONTAMBEAULT, Hugo, PERRON, Bernard, « La Focalis-action : Des savoirs narratifs aux faires vidéoludiques », dans Sciences et jeu, [en ligne]. : http://journals.openedition.org/sdj/897 ; DOI : 10.4000/sdj.897 [Texte consulté le 28 septembre 2018].

 

MORRISET, Thomas, « Nature de la lecture et matérialité des livres dans les jeux vidéo », dans Mémoires du livre, vol. 5, n°. 2 (printemps 2014), [en ligne]. https://www.erudit.org/en/journals/memoires/2014-v5-n2-memoires01373/1024776ar/ [Texte consulté le 9 octobre 2018].

 

SELLIER, Hélène, « Les représentations et les effets de la littérature dans The Elder Scrolls », dans Jeu vidéo et livre, [en ligne]. : https://books-openedition-org.acces.bibl.ulaval.ca/pulg/2727#ftn45 [Texte consulté le 3 octobre 2018].

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