rue Anna (Michel Brosseau)
Le hasard qui t’a amené là. Sur Google Maps, ainsi : taper le nom d’une ville et l’arbitraire qui te mène en un point. Basculer sur Street View, quitter le plan, presque s’ancrer au réel. De ces voitures stationnées, l’une que tu as louée hier soir. La grise. Passée la douane, traversé le rez-de-chaussée de l’aéroport, entré dans un des bureaux de location. La fille au guichet. Aurait voulu te refourguer une grosse berline. Lui expliquer que pas besoin pour toi tout seul. Ton sac à dos dans le coffre… Pour dormir, oui, ç’aurait été mieux. Banquette arrière plus confortable. Mais la tête qu’elle aurait fait. Proprette sourire commerce ongles vernis ses doigt sur le clavier. Les mêmes de chaque côté de l’Atlantique. Océan miroir. Sinon l’accent. Chaque fois, cette idée qu’inutile de partir. Cette espèce d’amertume de l’arrivée. Cette idée que promener ta cage. Elle t’avait donné les clés, des papiers, indiqué un parking.
Tu avais rejoint l’autoroute. Première station-service t’acheter des bières et un sandwich. Pris un pack de Coors. Dernière fois que traversé l’Atlantique tu buvais de la Bud. Buvais de la Bud en longeant les grands lacs. Tu avais roulé, l’autoradio calé sur CJMF, 93.3. Rejoindre la ville. Mainstream rock. Musique et bière. Te raccrochais aux clichés. Quoi de mieux pour atténuer le vertige, quand seul et la grande ville autour de toi ?
Tu étais entré dans la ville. Et délibérément t’étais livré au hasard. Après tout tu te perdais toujours. Où que tu ailles. Roulé dans la nuit, jusqu’à ce que la fatigue aidant, et puis les bières… Tu avais garé ta voiture de location, sorti ton sac du coffre, pris ton duvet. Tu t’y retrouverais demain. Au pire demander à quelqu’un. Il y avait bien ce plan qu’on t’avait filé avec les papiers de la voiture. Mais si peu lisible !… Parcours obligé du touriste. Peu de chances qu’il passe ici.
Immeuble de briques. Escalier pour atteindre le rez-de-chaussée. Mais le mot ne convient pas. À cause de la neige l’hiver ? Rideaux aux fenêtres. Tu ne sauras rien de ce qui s’y passe. Te souviens d’Amsterdam les soirs d’hiver. Longues marches. Ces mondes qui s’offraient. Et te demander si là-bas aussi Peter Pan se cognait aux vitres…
Quelques pas. T’aérer un peu. Ankylosé. Trouver le nom de la rue. Envie d’un café. Il faudra reprendre la voiture. Rue Anna. Cul-de-sac qui croise la rue Kirouac… Te dire qu’à une lettre près !