On appelait ça monter à Québec (Mahigan Lepage)

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On appelait ça monter à Québec, on disait jamais aller à Québec, c’était toujours monter à Québec. Comme dans le temps que c’étaient les bateaux, qui montaient à Québec, que c’était sur les rivières, qu’on montait à Québec, sur les rivières et sur les fleuves, sur le fleuve, le St-Laurent. Après on s’est mis à monter à côté du fleuve, le long du fleuve, mais on a continué à dire monter, descendre, descendre et puis monter, comme dans le temps que c’était en bateau qu’on allait d’une ville à l’autre, d’un endroit à un autre, en bateau ou en canot, en faisant du portage et tout ça. Maintenant on était loin de ce temps, du temps où on montait à Québec en bateau, plus personne montait à Québec en bateau, maintenant on montait à Québec en auto, par la route et puis par l’autoroute, mais on continuait à dire monter à Québec, Je monte à Québec, On monte à Québec. On restait dans le Bas-du-Fleuve, ça s’appelait comme ça, le Bas-du-Fleuve, alors c’était comme si on était en bas et que Québec c’était en haut et qu’aller à Québec c’était un peu comme prendre l’ascenseur et monter, monter à Québec. On restait à Rimouski, dans le Bas-du-Fleuve, et on voulait aller à Québec, monter à Québec, dans la grande ville. Pas la plus grande ville, pas Montréal, mais quand même la grande ville, une grande ville pour nous, une ville plus grande que Rimouski, la deuxième plus grande du Québec, Québec. Pour nous Québec c’était déjà une grande ville, une très grande ville et c’est parce que c’était une grande ville qu’on montait à Québec, parce que là-bas il y avait des choses qu’il y avait pas ici, à Rimouski, des choses comme par exemple un spectacle de Lag Wagon, ou bien des hallucinogènes comme du buvard ou du champignon quand il y en avait plus à Rimouski alors il fallait monter à Québec. Alors on montait à Québec, sur le pouce la plupart du temps, mais des fois on montait aussi à Québec en auto, je veux dire avec notre propre auto, je veux dire l’auto d’un copain, un de la gang, l’auto d’un de la gang, ou l’auto d’un parent d’un de la gang, c’est pareil, l’auto d’un autre que moi en tout cas, parce que moi j’avais pas encore d’auto, à l’époque que je montais à Québec. C’était pas souvent, qu’on montait à Québec, pas souvent, que je suis monté à Québec. On avait pas beaucoup d’argent, pour monter à Québec, et pas beaucoup de moyens, pour monter à Québec, alors c’était pas souvent, qu’on montait à Québec, pas souvent, que je montais à Québec. Mais c’était toujours excitant, de monter à Québec. C’était l’inconnu, Québec. C’était la grande ville, Québec. Et puis on se sentait libre, quand on partait pour Québec. C’était nous, qui avait décidé de monter à Québec, pas les parents, pas les profs, pas les adultes. C’était nous, qui avait décidé d’aller dans la grande ville. Et puis on y allait par nos propres moyens, à Québec, pas sur la banquette d’en arrière de l’auto des parents, pas sur les bancs d’un autobus d’école, non, on y allait par nos propres moyens, à Québec, même si on avait pas beaucoup de moyens, pour aller à Québec, on y allait quand même par nos propres moyens, à Québec, sur le pouce ou bien dans l’auto d’un copain ou du parent d’un copain mais conduite par le copain c’est pareil. Enfin on était libre, on faisait ce qu’on voulait et ce qu’on voulait, c’était monter à Québec. Avec un copain une fois je me rappelle on avait monté à Québec sur le pouce, on était partis du Bic, là où je restais, chez ma mère, on était partis du Bic et on s’était mis sur le bord de la route 132 juste devant le restaurant du pêcheur, c’est là que c’était le mieux au Bic pour aller vers l’ouest, on s’était mis devant le restaurant du pêcheur et on avait commencé à faire du pouce pour monter à Québec. Mais on était pas pressés d’arriver à Québec, on avait de quoi fumer et un aki et on était bien avec nos joints et notre aki, avec ce copain c’est tout ce qu’on faisait fumer des joints et jouer au aki, on allait quelque part et on fumait un joint et on jouait au aki, même souvent on cherchait des endroits pas habituels pour fumer des joints et jouer au aki, une fois on était rentrés dans la piscine du Cégep de Rimouski le soir quand il y avait personne et on avait fumé un joint et on avait joué au aki. Et l’ami il traînait partout son petit magnétocassette portatif et avec son petit magnétocassette portatif on écoutait du Cypress Hill et du Primus et on fumait des joints et on jouait au aki et aussi des fois on enregistrait notre voix c’était drôle. Alors ce jour-là on était pas pressés, d’arriver à Québec, mon copain et moi. Et puis Québec c’est pas si loin que ça, c’est juste à trois heures de Rimouski ou du Bic à peu près, donc on avait du temps, et on s’était dit On prend notre temps, et on s’était dit Si c’est quelqu’un de cool qui nous embarque, du genre avec qui qu’on peut fumer un joint, alors on reste et sinon on trouve un prétexte et on sort d’accord. Et le premier lift qu’on avait eu il était pas cool, le gars c’était un bourgeois comme tout le monde, il était pas cool et alors on s’était regardés mon copain et moi et on s’était dit On descend, et on avait trouvé un prétexte, on avait dit qu’on voulait arrêter manger et on était descendus, et on avait fumé un joint sur le bord de la route, et on avait joué au aki, et on avait recommencé à faire du pouce. Et puis on avait eu un autre lift, et lui non plus il était pas cool, et on était descendus un peu plus loin pareil, et puis encore une fois, et finalement on s’était dit qu’il était peut-être temps qu’on arrive à Québec, et on s’était dit que même s’il était pas cool le prochain lift on le garderait et tant pis, et on avait eu un lift jusqu’à Québec et bien sûr il était pas cool mais on l’avait quand même gardé et on avait monté à Québec comme ça, par la route et puis par l’autoroute et puis par le pont Pierre-Laporte, en descendant trois fois pour fumer des joints et jouer au aki et puis en refaisant du pouce et puis finalement en restant dans le dernier auto même si le chauffeur il était comme les autres il était pas cool. C’est sûr qu’il était pas cool, c’est rare qu’ils sont cool les chauffeurs, parce que c’est des adultes et des bourgeois et qu’ils ont des autos et nous on a pas d’auto et on est pas des adultes et on est pas des bourgeois et on fume des joints et on joue au aki et on fait du pouce et pas eux. On était montés à Québec comme ça, et puis qu’est-ce qu’on avait fait à Québec une fois arrivés à Québec, qu’est-ce qu’on était allés faire à Québec ? Cette fois-là je me souviens pas, de qu’est-ce qu’on avait fait à Québec, de qu’est-ce qu’on était allés faire à Québec. Peut-être qu’on venait voir un show de Lag Wagon ou peut-être qu’on montait pour acheter du buvard ou du champignon. Je me rappelle qu’une fois j’étais monté voir un show de Lag Wagon à Québec avec des copains, c’était peut-être cette fois-là et peut-être qu’avec ce copain on était montés à deux sur le pouce et que les autres copains ils étaient aussi montés à deux sur le pouce ou bien à trois ou quatre ou cinq dans une auto je sais pas. Cette fois-là on avait monté à Québec pour voir Lag Wagon, parce que Lag Wagon ils venaient pas à Rimouski, c’était une trop petite ville Rimouski et c’était un trop gros groupe de musique Lag Wagon, ils venaient pas à Rimouski, Lag Wagon, ils venaient juste à Québec et à Montréal, Lag Wagon, alors on avait monté à Québec pour voir Lag Wagon, parce que Québec c’était plus proche que Montréal. Je sais pas c’était où le show, je connaissais presque pas Québec alors j’étais complètement perdu, je suivais mon copain, lui il connaissait mieux Québec. Je me rappelle juste qu’il y avait beaucoup de monde dehors qui voulait rentrer voir le show mais qui pouvaient pas rentrer voir le show, et nous pareil on était dehors et on voulait rentrer voir le show mais on pouvait pas rentrer voir le show. On avait pas de billets, on pensait qu’on pourrait acheter des billets à Québec, sur place, pour voir le show, mais il y avait plus de billets, il y avait plus de place, et on pouvait pas rentrer. Et je me rappelle d’un gars qui avait essayé d’entrer par une fenêtre, et que les gardes de sécurité ils l’avaient mis dehors. Et je me rappelle que moi aussi j’avais essayé d’entrer, en douce, par la porte de derrière. La porte était ouverte, pour l’aération sûrement, c’était plein de monde là-dedans, la porte était ouverte mais il y avait des gardes de sécurité, mais à un moment donné les gardes de sécurité ils étaient occupés avec quelqu’un d’autre, quelqu’un qui faisait des problèmes, et alors ils regardaient plus la porte, et moi je suis rentré, en douce, et je me suis retrouvé dans le show de Lag Wagon ni vu ni connu. Et j’ai regardé derrière moi, pour voir si mes copains m’avaient suivi par la porte, mais ils m’avaient pas suivi par la porte, j’étais tout seul de ma gang dedans et mes copains ils étaient dehors. Et devant moi tout au fond je voyais la scène avec Lag Wagon dessus, Lag Wagon c’était un groupe de punk rock, genre un peu contestataire mais commercial, on écoutait beaucoup de ce genre de musique, avec les copains, de la musique contestataire mais commercial, comme Lag Wagon ou Bad Religion ou ce genre de groupe, moi j’aimais pas ça tant ça, Lag Wagon et Bad Religion et ce genre de groupe, j’aimais pas ça tant que ça mais je faisais si j’aimais ça, je faisais comme tout le monde et puis à force je pensais que j’aimais ça, Lag Wagon et Bad Religion, en tout cas j’aimais le symbole, de Lag Wagon et de Bad Religion, ça voulait dire qu’on était nous et qu’on était pas des adultes ou des bourgeois ou n’importe qui qui écoute pas Lag Wagon ou Bad Religion, et j’étais tout content de les voir, au fond sur la scène, les Lag Wagon. Mais mes copains ils m’avaient pas suivi, ils étaient restés dehors, ils avaient eu peur de rentrer ou je sais pas quoi, et moi je voulais pas rester seul dedans, sans les copains, et puis sortir à la fin du show et pas savoir où étaient les copains, parce qu’on était dur quand même à cet âge-là, on était bien capable d’en abandonner un dans Québec, parce qu’il est rentré seul dans le show ou parce qu’on sait pas où il est. Moi je voulais pas être seul et perdu dans Québec, je connaissais pas Québec et puis je dormais chez l’ami d’un copain, alors pour pas être seul et perdu j’ai ressorti comme j’étais entré, par la porte de derrière, et j’ai pas vu le show de Lag Wagon. Et puis le reste de ce voyage-là je m’en souviens pas, je me souviens juste qu’il y a une pute qui nous a racolés dans le parking, elle était en train de sucer un type et elle s’est levé la tête et elle a dit Je vous suce pour vingt piasses et nous on en revenait pas, de cette phrase-là, on avait seize, dix-sept ans et on venait de Rimouski et on avait jamais vu une pute et on s’était jamais fait offrir de se faire sucer pour vingt piasses ni pour plus ni moins. À part ça je me souviens de rien de Québec, rien sinon qu’une autre fois on s’était retrouvés au carré d’Youville, avec qui j’étais je me souviens pas, juste que c’était l’été et qu’on avait nos skates et qu’on avait fait du skate dans le carré d’Youville. Et qu’on avait traîné avec des jeunes punks dans le carré d’Youville. Et puis on leur avait demandé de la drogue, on leur avait demandé de quoi fumer ou bien on leur avait demandé de l’acide ou de la mescaline ou je sais plus quoi. Et puis je me souviens qu’on s’était retrouvés dans un carré de pelouse pas loin du carré d’Youville, et qu’on était avec plein de punks de Québec, et eux ils vivaient là, au carré d’Youville et dans les plaines d’Abraham et sur les forteresses et dans les rues de Québec, ils faisaient du skate et ils prenaient de l’acide et de la mesc et c’était comme une petite communauté. Et je sais pas où ils dormaient mais ils dormaient peut-être dans les plaines d’Abraham ou sur le carré de pelouse où on était ou bien sous les ponts ou ce genre d’endroit. Et on avait passé du temps avec eux et on avait fumé et on avait acheté de la drogue et peut-être qu’on avait pris de l’acide ou de la mescaline, je me souviens pas, j’ai oublié, les souvenirs se mêlent c’est comme un tourbillon dans la tête. Je sais plus où j’ai dormi, où j’ai marché, où j’ai traîné, je sais plus combien de fois j’ai monté à Québec et pourquoi, et avec qui, et qu’est-ce que j’ai fait et tout et tout. Je vois des morceaux d’images, je vois des ponts de béton qui coupent en plein vide au-dessus d’une falaise. Et je vois une grande rue large où on marche et les plaines où on marche et nous on est tout croche tout penchés tout gelés. Et puis je vois la bâtisse en tôle où il y avait le show de Lag Wagon, et le parking plein de monde, et les cheveux blonds de la pute qui lève la tête dans le pickup. Et je me vois parler à un punk au carré d’Youville, et lui qui parle à sa petite copine, Ils se connaissent tous ici, que je m’étais dit. Et je vois la pelouse et je vois les punks qui sont couchés sur la pelouse. Et puis les forteresses et puis les petites rues en pente et puis les vieilles maisons du temps des bateaux. Et je vois le pont qu’on prend pour arriver à la ville, et puis des moments longs sur le bord de l’autoroute sous le viaduc de Québec, une amie qui pleure tellement c’est long et qu’il fait chaud et qu’on n’en peut plus. Et puis je me vois dans une auto avec des copains, deux devant et deux derrière, la musique dans le fond je sais plus ce que c’était, est-ce que cette fois-là on allait à Québec ? Et je vois des images d’autoroute et je vois des images de route. Et cette fois qu’on était allés voir un show de GrimSkunk à La Pocatière, c’était encore avec le même copain, celui avec qui on jouait au aki et on fumait des joints et on écoutait de la musique sur son magnétocassette. Et puis je pense juste à l’idée que je me faisais de Québec, du rêve que c’était de penser à Québec, la grande ville là-haut, quand je connaissais pas Québec, quand j’y étais jamais allé ou presque jamais allé encore, à Québec. Et puis enfin enfin à la fin j’entends les copains de Rimouski qui disent Monter à Québec, On monte-tu à Québec ?, En fin de semaine je monte à Québec, y a un show de Lag Wagon, je vais aller chercher une feuille de buvard, Je monte à Québec, On monte à Québec, Je monte à Québec.