Installations culturelles et médiation : Marie D. Martel et Mériol Lehmann (6 octobre 2016)

Intervenants :

  • Marie D. Martel – Conseillère – bibliothèques, Direction des Bibliothèques de Montréal
    « Fablab en bibliothèque : innover et créer collectivement des savoirs libres et des biens communs »
    présentation numérique à venir

Description des conférences ici.

Synthèse proposée par Marie-Michelle Beaudoin et Elizabeth Collin, avec la participation de Pierre Chicoine

Introduction

Le phénomène des fablabs et des médialabs voient le jour depuis peu au Québec. Ceux-ci s’inscrivent dans une culture du numérique grandissante où les valeurs et les idéologies se confrontent. La mission de ces deux types d’ateliers se rejoint par leur objectif de développement de l’être humain en rendant accessible le numérique par des activités ou des ateliers offerts dans des tiers lieux, dans ce cas-ci, des bibliothèques.

Dans le cadre du séminaire offert par la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN), nous avons accueilli, le 6 octobre dernier, Marie D. Martel et Mériol Lehmann, références dans leur domaine respectif, soit les fablabs et les médialabs. Mme Martel a donné une conférence ayant pour titre « Fablab en bibliothèque : innover et créer collectivement des savoirs libres et des biens communs », et M. Lehmann a présenté une conférence s’intitulant « Les médialabs, lieux de création et de collaboration : parallèles avec les centres d’artistes autogérés ». Cette synthèse résumera ces présentations, puis fera une mise en parallèle entre les deux en mettant en relief ce qui les rapproche et ce qui les différencie.

Fablab en bibliothèque : innover et créer collectivement des savoirs libres et des biens communs, de Marie D. Martel

Marie D. Martel ouvre sa présentation en nous rassurant : les bibliothèques se portent bien. De 2012 à 2015, les 45 institutions de Montréal auraient même connu une hausse de fréquentation de 17 % (Lalonde et Larin, 2016). Ceci dit, les usagers ne fréquentent plus seulement les lieux pour y emprunter des livres : leur présence se voit relativisée par rapport à l’éventail de services offerts. Confrontée à une transformation des pratiques de lectures (dématérialisation du livre), la bibliothèque se redéfinit, passant d’un système orienté sur la transaction (prêts de livres) à un système où on valorise davantage la création de contenus et de savoirs. Ces institutions repensées offrent un contexte d’implantation idéal pour les fablabs. Le fablab, contraction de fabrication laboratory, est « un lieu physique permettant la fabrication numérique » (Simon, 2015). Ce sont des espaces ouverts à tous et pourvus d’équipements destinés entre autres à la modélisation 3D et au prototypage. L’objectif, d’ici 2017, est de mettre à la disposition du public environ 1000 m2 de ces espaces consacrés à la création.

La conception même de ces espaces se fait en partenariat avec la communauté. Il s’agit d’une démarche de codesign et de cocréation afin de nourrir une réflexion sur les finalités et les fonctions des fablabs. Bien qu’une partie de la mission confiée aux bibliothèques est traditionnellement de « fournir à chaque personne les moyens d’évoluer de manière créative » (UNESCO, 1994), l’institution s’enrichit d’une nouvelle dimension en s’engageant envers la communauté. D’une posture de fournisseuse de services à la clientèle qu’elle dessert, la bibliothèque de demain est le résultat d’une coconstruction qui place les usagers au cœur du processus de sa propre redéfinition. Il en émerge une nouvelle philosophie globale d’intervention, entre autres sous l’impulsion de la théorie du care qui avance que « prendre soin ne se résume pas à donner [un service], mais cherche à solliciter la participation, le choix, et finalement l’action d’autrui » (Zielinski, 2010). La bibliothèque devient une institution de soutien à la sphère publique porteuse de valeurs de justice sociale. Sa véritable collection, c’est la communauté!

Pour se concrétiser, cette nouvelle vision de la bibliothèque doit être supportée activement par les professionnels qui œuvrent au sein de ces institutions. Il s’agirait d’ailleurs, pour le moment, de l’un des principaux enjeux de l’implantation des fablabs en bibliothèque. Un deuxième enjeu de taille, concernant aussi le personnel, est celui de dénicher les « champions » qui animeront les espaces créés. Ce ne sont pas des experts qui sont recherchés, mais bien des guides possédant à la fois les compétences sociales et techniques pour aider les usagers dans l’utilisation du matériel informatique mis à leur disposition.

Puisque le phénomène des fablabs en bibliothèque est relativement récent (au Québec du moins), la pertinence de leur présence au sein de ces institutions est encore questionnée. Il s’agit de repenser le rapport de la bibliothèque au savoir, non seulement en favorisant l’accès aux collections de livres, mais également en considérant l’apprentissage comme un processus vivant et dynamique. Il est bien entendu possible de trouver des réponses par la consultation de livres, mais aussi par l’expérimentation et la création.

Les médialabs, lieux de création et de collaboration : parallèles avec les centres d’artistes autogérés, de Mériol Lehmann

Ayant pour mandat de mettre en place les premiers médialabs de la Bibliothèque de Québec, Mériol Lehmann expose sa vision des médialabs tout en effectuant un parallèle avec les centres d’artistes autogérés. Il commence sa présentation en définissant les médialabs comme étant des laboratoires de création numérique consacrés à la création de contenus médiatiques dématérialisés (des contenus audio et vidéo, des photos, de la programmation, des codes, etc.). Il fait ensuite référence aux lieux de rassemblement informels que sont les tiers lieux. Selon lui, les bibliothèques, lieux de partage de connaissances, constituent un endroit idéal pour développer les médialabs en raison de leur vocation sociale, conviviale et publique. Il avance que les médialabs contribuent à la littératie numérique en rendant accessibles différents outils de création numérique.

Les médialabs qui verront le jour cet automne dans la région de Québec visent une clientèle adolescente afin de leur donner l’opportunité de s’accrocher à quelque chose. M. Lehmann avance que cette génération démontre de l’intérêt et une facilité d’apprentissage relativement au numérique. Selon lui, les médialabs renvoient au concept HOGAMO, où : « HO » signifie hanging out (socialiser et relaxer entre amis), « MA » signifie messing around (expérimentations de base), et « GO » signifie geeking out (travail plus approfondi). Il prétend aussi que les médialabs répondraient au modèle d’apprentissage du connected learning, selon lequel on apprend mieux lorsque le contenu nous intéresse, l’apprentissage est réparti dans plusieurs milieux et l’interaction sociale est présente.

Les médialabs rendent accessibles des outils aux jeunes, et ceux-ci apprennent à s’en servir en explorant, en partageant, en transférant leurs connaissances et en ayant recours aux facilitateurs : facilitateurs qui seront d’ailleurs au même niveau hiérarchique que les jeunes.

Lehmann introduit ensuite le sujet des centres d’artistes autogérés (CAA). Cette structure, créée par et pour les membres, existe principalement au Canada. Elle permet la création artistique sans que celle-ci soit freinée par un système basé sur la valeur marchande de l’art. Les forces des artistes de cette communauté d’intérêts sont mises à profit dans son organisation et son fonctionnement. Les relations humaines sont établies selon une structure horizontale et circulaire : une personne du conseil d’administration peut recevoir les services d’un membre, et vice versa. Le CAA permet à ses membres d’accéder à des stations de travail professionnelles afin de produire des œuvres médiatiques à travers un lieu d’échange, de discussion et de partage des connaissances. Ainsi, les médialabs comme les CAA permettent l’accès à des outils de production numériques et encouragent l’expérimentation, tout en ayant comme assises le partage du savoir, la collaboration, les relations sociales horizontales et les notions de communauté et d’égalité.

Mise en parallèle des deux présentations

L’une des notions souvent reprise au fil des deux conférences est celle du tiers lieu. Le tiers lieu est un espace autre que le foyer ou que le lieu de travail qui est « dédié à la vie sociale de la communauté, […] où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle » (Servet, 2010). Ce sont des endroits publics dont l’accès se doit d’être gratuit ou peu dispendieux qui sont invitants et intellectuellement stimulants (Willingham, 2015). Pour fonctionner, il est primordial qu’un tel lieu soit approprié par la communauté qu’il dessert.

Les bibliothèques publiques sont toutes désignées pour devenir des tiers lieux. Ce sont des espaces à l’échelle humaine, articulés en zones offrant plusieurs degrés d’intimité permettant une modulation des usages selon les besoins. Elles sont des lieux de vie et de rencontre où sont offerts divers services. Elles sont fréquentées par une clientèle variée, permettant un certain brassage social. En mettant sur pied ces espaces privilégiés de création et de partage que sont les fablabs et les médialabs, elles offrent un accès équitable aux outils de production de culture numérique et médiatique, aidant du même coup à la réduction de la fracture numérique. En favorisant une diversification des contenus et des supports, et en permettant à l’utilisateur d’agir en tant que créateur, les bibliothèques se détournent d’une vision prescriptive du savoir.

Ces espaces consacrés à l’expérimentation et à la création favorisent non seulement la circulation des savoirs, mais aussi le partage des savoir-faire et le développement de compétences. Les activités se déroulant au sein des fablabs et des médialabs donnent lieu à des transferts d’expertise, d’abord entre les facilitateurs et les usagers, puis entre les usagers qui développent eux-mêmes leurs propres savoir-faire dont pourront bénéficier les autres usagers à leur contact. Ultimement, tout ce qui aura été créé collectivement pourra circuler entre les différents fablabs regroupés en réseaux.

Cela nous amène à un deuxième concept régulièrement évoqué par les deux conférenciers : celui des biens communs. Situés quelque part entre les biens dit publics et privés, « les biens communs se caractérisent par le fait que leur accès est universel (comme un bien public) mais leur usage peut devenir exclusif (comme un bien privé) » (Ravet, 2015). Les biens communs de la connaissance, particulièrement à l’ère du numérique, ont la particularité de pouvoir être reproduits de manière illimitée à un coût quasi nul, sans aucune perte d’information (SavoirsCom1, 2016). Sont ainsi valorisés les bénéfices collectifs et la mise en commun du domaine public, de la culture de la transparence et de la littératie des communs.

Les médialabs et les fablabs favorisent ainsi non seulement la création collective de contenus originaux, mais aussi leur partage via les réseaux de laboratoires et l’Internet. Les usagers sont donc invités à « documenter les réalisations et, surtout, [à] laisser ces informations en libre diffusion [permettant] en outre de créer une forme de communs, avec des connaissances ou des expériences qui pourront ensuite être reprises par d’autres » (Rumpala, 2014).

Conclusion

Les présentations de Marie D. Martel et de Mériol Lehmann, grâce à leur survol des projets de fablabs et de médialabs en bibliothèque, permettent de cerner les impacts et le potentiel de cette nouvelle offre de services dans le monde des bibliothèques. La caractéristique principale de cette offre de services est le haut niveau d’engagement des usagers. Ceux-ci deviennent partenaires et coconcepteurs des services, apportant ainsi un contraste avec la vision traditionnelle des bibliothèques, en faisant éclater les barrières du savoir et en devenant des tiers lieux inclusifs. Plus qu’une simple bonification de l’offre de services, on assistera sans doute à l’émergence d’une nouvelle philosophie d’intervention qui pourra enrichir la culture organisationnelle des bibliothèques. À plus grande échelle, l’enjeu de la maîtrise logicielle dépasse maintenant la simple manipulation de fichiers : elle tend vers une volonté de contrôle de cet écosystème.

Médiagraphie

LALONDE, Catherine, et Vincent LARIN (2016). « Du livre au lieu : la fréquentation est en nette hausse au Québec », Le Devoir, 19 avril, [En ligne], [http://www.ledevoir.com/culture/livres/468509/bibliotheques-du-livre-au-lieu], (consulté le 12 octobre 2016).

SAVOIRSCOM1 (2016). Le manifeste de SavoirsCom1, [En ligne], [http://www.savoirscom1.info/manifeste-savoirscom1/], (consulté le 4 octobre 2016).

RAVET, Jean-Claude (2015). « Pour les biens communs : entrevue avec Gaël Giraud », Relations, n° 777, p. 26-28. [En ligne], [http://www.erudit.org.acces.bibl.ulaval.ca/culture/rel049/rel01742/73704ac.pdf], (consulté le 13 octobre 2016).

RUMPALA, Yannick (2014). « « Fab labs », « makerspaces » : entre innovation et émancipation? », Revue internationale de l’économie sociale : Recma, no 334, octobre, p. 85-97.

SERVET, Mathilde (2010). « Les bibliothèques troisième lieu : une nouvelle génération d’établissements culturels », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), vol. 55, no 4, p. 57-66.

SIMON, Marjolaine (2015). « Fab Lab en bibliothèque : un nouveau pas vers la refondation du rapport à l’usager? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), no 6, p. 138-151, [En ligne], [http://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/fab-lab-en-bibliotheque_66269], (consulté le 3 octobre 2016).

UNITED NATIONS EDUCATIONAL, SCIENTIFIC AND CULTURAL ORGANIZATION (UNESCO) (1994). Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique, [En ligne], [http://www.unesco.org/webworld/libraries/manifestos/libraman_fr.html], (consulté le 12 octobre 2016).

WILLINGHAM, Theresa, et Jeroen DE BOER (2015). Makerspaces in Libraries, Lanham [Maryland], Rowman and Littlefield Publisher, 158 p.

ZIELINSKI, Agata (2010). « L’éthique du care : une nouvelle façon de prendre soin », Études 2010/12, tome 413, p. 631-641. [En ligne], [http://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm], (consulté le 13 octobre 2016).