Du livre (notamment numérique)

carnetJe n’aime pas les livres – exit le lieu commun du littéraire au milieu de murs couverts de bibliothèques (souvent poussiéreuses) remplies de livres (souvent désordonnés, généralement en doublons involontaires). J’en fais usage, après je les égare, ils se noient dans des piles ou ils s’enfouissent sous des journaux et des revues. Ils m’encombrent, au sens où les bonnes volontés se transmuent en piles procrastinatoires de lectures-que-j’aimerais-faire, de lectures-que-je-devrais-faire. Les livres me rappellent la vie trop frétillante, les livres accusent mon éparpillement.

J’aime le livre — mais vous ne me verrez pas pleurer de perdre la chance de lire un livre-qui-sent-bon-la-colle-et-la-chaux dans mon bain, comme je préfère nager à prendre un bain (les bains sont trop petits), comme je préfère feuilleter, lire, parcourir, prendre des notes à sniffer une ligne de caractères dans une masse plus ou moins écologiquement responsable de pulpe ligneuse. Le livre est une technique fascinante, croisant le codex et la rhétorique, combinant les arts populaires de la manipulation (rouler un livre poche pour n’avoir qu’une page devant les yeux) et les pratiques d’écriture – du roman, du recueil, des écrits scientifiques. Son historicité impose le respect, mais son inscription profonde dans les us et le quotidien l’amène à prendre des couleurs inattendues, à s’adapter à son contenu, à se transformer selon les supports, à être malléable. Foin de vénération obtuse ou de sacralité montée en épingle, car le livre s’impose par lui-même, par son efficace et sa résilience. Je fais son éloge, mais ne prends pas sa défense.

On devinera alors ce que je pense du livre numérique — les lieux de l’écrit évoluent, les méthodes de sa consignation et de sa circulation s’adaptent, les besoins liés à l’écologie du savoir se remodèlent constamment. Le livre s’y prête, revêt de nouveaux atours et s’offre en performance. Il importe d’aller voir ce qui advient de cette expérience dans les aires de la culture numérique, d’observer et de s’engager – du travail nous y attend.

 
C’était la motivation qui nous a poussé à rassembler des gens dans le cadre de l’édition Montréal 2018 du colloque ÉCRIDIL, lancé en 2016 par Stéphane Vial à l’Université de Nîmes. Rassembler des spécialistes, des expérimentateurs, des critiques, de sorte d’avancer dans le « défi de design » que pose le livre, à l’intersection numérique de la création et de l’édition. Plus d’une quarantaine d’intervenants (dont une majorité de collègues français), quelques dizaines de curieux et d’intéressés, une équipe technique imposante : cette rencontre, tenue il y a deux semaines à l’Usine C, profitait bien de l’atmosphère des lieux marquée par l’idée de la fabrique (l’usine de la compagnie Alphonse Raymond, qui produisait des confitures de fruits, réhabilitée en centre de création et de production pluridisciplinaire par les têtes portantes de la compagnie Carbone 14).

  • Comment fabriquer le livre en contexte numérique ?
  • Quelle expérience offrir, partant des horizons d’attente de lecteurs de livres mais s’appuyant sur les codes de la culture numérique ?
  • Les développements techniques récents et les productions livresques numériques nous apprennent-ils de nouvelles réalités – de création, de design, de lecture – qu’il faudrait mieux prendre en compte ?
Les échanges ont été vifs, captés par un livestream (voir les liens intercalés dans le programme) et éventuellement archivés dans une version plus propre. Les points de vue étaient riches, se situant au point de rencontre intermédiaire entre les postures des uns et des autres (études littéraires, culture numérique, info-comm, bibliothéconomie, design, édition…). Tous étant décentrés, en quelque sorte, par rapport à une pratique déjà vaste, l’ouverture était l’attitude prédominante et les positions dogmatiques n’ont pas eu voix au chapitre, traînant sous la pluie dans les rues avoisinantes. Pour ma part, en position d’organisateur, je ne suis que très peu intervenu, laissant les positions s’entrechoquer et une perspective complexe mais cohérente se développer.
On aura apprécié les boutades qui illustrent bien les visions respectives, mais qui sont néanmoins éclairantes, voire déterminantes.

  • Un livre numérique c’est celui que les bibliothèques peuvent acquérir (Olivier Charbonneau, Concordia).
  • Ce qui est ici déterminant, dans le contexte numérique, ce n’est pas le livre, mais l’écriture (Emmanuël Souchier, GRIPIC/CELSA).
  • Le livre ne m’intéresse pas (Marc Jahjah, Nantes).

Le livre numérique est une étonnante réalité insaisissable. L’expression même renvoie à une diversité d’acceptions qui ne se recoupent que partiellement, que contextuellement – un petit état des lieux viendra d’ailleurs sur le sujet. C’est que les moyens de production recouvrent les définitions commerciales, que les considérations techniques croisent les politiques culturelles, que les ambitions personnelles se butent aux conglomérats éditoriaux. Persiste néanmoins, en toute situation, l’idée d’une expérimentation – ou, plus précisément, d’un travail sur l’expérience du livre.
 
C’est dans cet esprit qu’on a imaginé que le colloque devait trouver à être pérennisé sous la forme d’un livre, à l’intersection d’une expérience de « création/édition » et d’une expérience technologique de production. L’idée d’un booksprint s’est imposée et a été prise en charge par Servanne Monjour, Nicolas Sauret et Jean-Louis Soubret. Une équipe a synthétisé les communications et les échanges au cours de l’événement, pour s’en servir comme matériau au sein d’une traversée des notions-clés abordées par les participants. Deux jours de travail intensifs, puis deux semaines de poursuite du chantier. Bien des enjeux techniques #opensource #git #pagedmedia, bien des réalités concrètes de l’édition #rédaction #uniformisation : le chantier progresse bien et donnera lieu à une publication (en impression à la demande) dont la couleur reflétera les variations technologiques et conceptuelles exposées pendant ÉCRIDIL. À suivre très vite.

Je n’aime pas la stabilité du livre, son immobilisme, son seul sens de la propriété (qui émerge des études sur les biens numériques – via HBR, merci MarcG). Je n’aime pas ce à quoi réfère le (réel) sens de l’expression « Les paroles s’envolent, les écrits restent » – les livres doivent circuler, qu’ils aillent et qu’ils viennent, qu’ils se transforment et renaissent sous d’autres couverts, sur d’autres supports et plateformes. Cette mouvante permanence du livre doit être actée, mais surtout, plus que jamais, elle doit être performée.
 
(crédits photo [sauf pour la deuxième] : Louis-Olivier Brassard)
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Le difficile art de la critique du livre numérique

Sur les traces de KerouacÉbouriffées, très personnelles, les chroniques de Louis Hamelin dans Le devoir suscitent la curiosité et l’engagement du lecteur. Placé devant un discours essayistique au sens fort, celui-ci réagit à la mise en scène du « je », à une rhétorique sautillante et digressive, à un questionnement culturel en acte. Il arrive toutefois que le chroniqueur se fasse, qui plus est sur commande, critique de livre – pire, de livre numérique. Déstabilisé, il se réfugie dans les lieux communs du genre, voire en propose une déclinaison malheureusement caricaturale. Autopsie préliminaire d’un malaise.

Hamelin est mandaté pour faire la critique d’un livre numérique produit par Ici Radio-Canada Première, la radio nationale francophone. Il s’agit d’un document qui poursuit une série radiophonique diffusée sur les ondes, Sur les traces de Kerouac, document disponible en version iBooks ou PDF. Sa chronique/critique tente de saisir de cet objet pour lui-même… mais le contenu est d’abord lourdement plombé par le contenant. Quelques cas de figure.

Contexte institutionnel et œuvre :

Combien de temps faudra-t-il au Conseil des arts et des lettres du Québec, qui mène en ce moment des « chantiers de réflexion » sur l’interdisciplinarité et le « renouvellement générationnel », entre autres, pour considérer le roman numérique pur comme un genre littéraire à part entière ? Ce jour-là, l’écrivain, qui doit déjà partager les maigres bidoux des subventions à la création avec des conteurs — ces artistes de la scène qui, sans avoir jamais eu à coucher un mot par écrit ailleurs que dans un formulaire, se voient traités en littérateurs par l’institution —, l’écrivain, dis-je, devra aussi disputer son pauvre butin à des équipes de concepteurs Web et de designers de contenus.

Après une tirade sur le passage faisant état des obligations liées au développement d’une version tablette du journal, c’est le lustre du métier d’écrivain – et le financement de celui-ci – qui conduit à une première dérive. Se plaint-on que l’écriture de tel roman dont on discuterait dans une critique a été rendue possible par une généreuse bourse du Conseil des arts, nuisant ainsi à plusieurs autres créateurs qui en auraient eu davantage besoin ? Convoquer les paramètres subventionnaires des productions culturelles, c’est dérouter passablement l’enjeu central du texte.

Embarras technique :

Car contenu il y a, et de l’enrichi super-plus, mes bons amis, avec de l’interactivité tout plein dont, indécrottable grosse bête, je n’ai guère pu profiter, pogné que je suis avec le préhistorique OS X 10.8.5 de mon Mac en PDF.

Y a-t-il lieu de reprocher au papier bible des volumes de La Pléiade de boire le gras des doigts des mangeurs de frites que nous sommes, ledit papier devenant de la sorte translucide et fragile ?

Interface, manipulation :

Sinon, que dire de ce livre numérique ? Ça se lit comme une histoire pour enfants, avec de belles illustrations en couleurs. Le texte est encapsulé, éclaté en un semis de notations et de citations qui surnagent au milieu de la prépondérante iconographie.

Se désole-t-on qu’un atlas comporte des cartes ? Qu’on doive tourner les pages d’un roman ? Pourquoi relever ce rendu graphique et le dénigrer, si tel était le projet retenu par leurs artisans ? (je n’oserai pas le mot « écrivains » ici, on comprend que ça serait pure provocation).

On notera enfin la caractérisation fautive du format du livre :

On parle ici, je le précise, non pas de la version électronique d’un ouvrage aussi édité sous la forme d’un volume, mais d’un livre qui, dans sa conception et son esprit même, appartient à l’univers du Web.

Il est vrai qu’il ne s’agit pas de la version numérique (« homothétique ») d’un livre ayant été publié parallèlement sous format papier/régulier. Toutefois, le seul lien avec le web, c’est l’esthétique graphique du livre (et, au fondement du livre, un partage des mêmes codes – l’epub dérivé utilisé par iBooks étant un site web lisible de façon autonome). Bien au contraire, le livre n’est pas attaché au web, car le livre est portable – et plus encore avec sa déclinaison PDF… – les images, les audios et les vidéos étant embarqués dans le fichier de sorte que l’on se détache du web, du réseau, de la connexion. On pourra sans difficulté lire ce livre numérique au fond des bois, à la seule condition que la tablette soit bien rechargée…

C’est que le livre ne correspond pas à l’idée du livre (biographique) attendu : « Rien pour se prendre la tête », résume Hamelin, basculant le projet dans une légèreté somme toute délétère pour la littérature. L’évidence qui clôt son article,

à savoir qu’un ouvrage numérique de cette espèce est encore loin, bien loin de menacer la substantifique moelle d’une bonne biographie solide, qui radiographie son sujet et fouille où ça fait mal plutôt que de surfer sur la légende

montre bien, d’une part, la critique forte qu’il formule à l’égard du projet (et qu’il argumente, peut-être rapidement mais tout de même) – le livre peut la mériter, comme toute entreprise discursive peut être jugée intéressante/impertinente/insuffisante/badine… –, mais souffre d’autre part d’un télescopage parfaitement vicieux, laissant entendre que le fond ne pourra jamais satisfaire aux attentes des lecteurs s’il emprunte cette forme.

*  *  *

Le lecteur est placé devant un parti pris du modèle du livre, souffrance de sa nostalgie dans un projet qui n’en a pas la visée, qui en déplace les potentiels et les moyens. L’idée de livre, contrairement à ce que l’on croit, est en mouvance. Rappelons l’apparition du format poche il y a un siècle, la multiplication par toutes les avant-gardes et les milieux artistiques de livres-objets, des essais formés de textes parus dans des journaux, la peinture sur les tranches de livres (du Moyen Âge au 19e siècle), des romans construits par l’accumulation de petits épisodes ou insérant des capsules historiques, l’édition artisanale, des rendus graphiques réfléchissant la complexité narrative (pensons à House of Leaves)… Le livre numérique n’est qu’un embranchement parmi d’autres. Ne reste qu’à accepter que lire, c’est s’engager sur la route sans savoir quelle destination nous attend, ni quel parcours sera nécessaire pour l’atteindre.

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Un sentier aux voix parallèles qui se chevaucheront… un jour…

railsConsignation rapide d’une observation qui me taraude depuis longtemps : les livres numériques, c’est tout et n’importe quoi. Aussitôt que le papier s’évanouit, ce qualificatif de « numérique » apparaît et la magie opère (ou plutôt elle n’opère pas, mais c’est là un autre débat). On scande couramment que le livre numérique est ci, que le numérique fait ça du livre… mais de quoi parle-t-on ?

En commentaire à une tentative de Clément Laberge de voir sur le long terme l’enjeu du livre numérique à la suite d’une sortie un peu maladroite de Nathalie Petrowski, Benoît Melançon rappelle minimalement que le livre, ce ne sont pas les livres :

Il y a «des livres (numériques)», dans des écosystèmes souvent très différents les uns des autres, du livre pour enfants au livre scientifique. On confond trop souvent «le livre» avec le roman, voire avec les best-sellers.

C’est là un rappel utile, voire nécessaire. Ce n’est toutefois pas la seule distinction qu’il faille ramener sur la table pour avoir un portrait juste des productions livresques/littéraires en contexte numérique. Si on ne se concentre que sur le champ de la littérature, il y a traditionnellement deux domaines pourtant fort éloignés l’un de l’autre qui s’imposent – et avec le premier qui bouffe actuellement toute l’attention médiatique du second.

  • D’abord, les livres numériques de l’ordre du « print-to-pdf » (ou du « print-to-epub », dans le meilleur des cas), ceci dit sans dépréciation aucune du travail gigantesque fait par les vrais artisans du epub, en constante négociation avec les hoquets du format d’une plate-forme à l’autre (allez voir le travail et les soupirs de Chapal et Panoz, par exemple). Ce sont, pour reprendre l’expression française maintenant un peu abandonnée, des manifestations de la littérature homothétique : simple translation du contenu, sans mise en forme ajoutée, depuis la version pré-impression papier vers une version uniquement numérique. C’est ce qui absorbe la quasi-totalité du discours sur le(s) livre(s) numérique(s).
  • La littérature « électronique » (le terme fait vieux, autant que audio-visuel, multimédia et cyberespace…) qui relève plutôt du champ de l’expérimentation littéraire et informatique. C’était dans un premier temps des essais en littérature générative, des œuvres mobilisant des éléments d’animation ou d’interactivité, des tentatives de bousculement de l’ordre du texte (hyperfictions, œuvres arborescentes, fragments hyperliés). Le champ s’est passablement diversifié et enrichi depuis les années 70-80-90, profitant des possibilités du web et, plus récemment, de l’encapsulation facilitée de scripts et programmes dans des applications (surtout sur des formats mobiles, sur iOS et Android).

Cela me fait un peu rigoler de voir les débats éternels sur l’odeur du papier et la durée des piles de nos bidules électroniques. Mais un peu moins de voir qu’on investit lourdement dans la gestion des livres dits numériques, alors que ce sont clairement les plus simples à prendre en charge (relativement parlant, bien sûr). Je voyais tout à l’heure la série de clichés de workflows proposés par les bibliothèques nationales dans le cadre de l’IFLA pour pérenniser les livres numériques (1re catégorie™), relayés par Antoine Fauchié (ici, et ). Démarche méritoire, mais c’est clairement le cas le plus primitif à gérer… Les problèmes techniques posés par les œuvres expérimentales sont à des années-lumières en complexité, et tout porte à croire que toute cette production s’efface et continuera de s’effacer jour après jour, de version en version de systèmes d’opération, de Flash et de WebKit. C’est un enjeu lourd, déterminant pour une compréhension rétrospective de ce qui aura pu permettre l’émergence de la littérature numérique.

Et justement, comment en parler, de cette littérature numérique ? Les deux voies identifiées sont-elles concurrentes ? L’une meilleure que l’autre ? Je ne le crois évidemment pas. La première se concentre sur un affichage extrêmement bien maîtrisé d’un contenu en fonction d’une variété de plate-formes et de supports – objectif : flexibilité. La seconde est généralement fondée sur une visée performative tonitruante : comment élaborer une expérience de lecture qui bouleverse la lecture habituelle sur papier, en profitant des possibilités (graphiques, sonores, interactives) offertes par le support informatique ? Des scripts, des programmes engagent le texte dans un mouvement où les points d’entrée (souris, clavier, périphériques) peuvent être mobilisés, où le texte devenu code devient plus activement manipulable. Objectif : dynamisme.

À lire ces deux descriptions, on ne croirait pas pouvoir désigner ces deux pratiques par le même vocable… mais c’est pourtant la réalité. Les deux voies identifiées sont les héritières de leurs parcours singuliers : les antécédents, les déterminants sont différents. Pourtant, tout porte à croire que ces voies parallèles finiront par converger. Les sites-œuvres, fondés sur un usage fin de la typographie et sur une flexibilité d’affichage trans-plate-formes dans un environnement propre à mobiliser des ressources dynamiques, en sont un avant-goût.

On rigolera peut-être un jour de cette dichotomie initiale dans les pratiques littéraires… Pour l’instant, je souhaite seulement que les deux voies recueillent leur lot respectif d’attention et d’intérêt, de façon à enrichir ce que pourra devenir la littérature numérique.

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De la diffusion numérique : podcasts et reverse editing

L’initiative du Café numérique se révèle très stimulante — s’obliger à se plonger dans des approches voisines du numérique mais nécessairement différentes de ma propre vision ; rencontrer des auditeurs dont la familiarité avec les enjeux est variable mais l’appétit tout aussi grand ; voir comment le sujet captive, en dehors des murs de l’université.

Dans cet effort de mise en place d’une petite communauté, le souhait de dépasser celle-ci est concomittant. D’où l’idée d’en faire des podcasts, qui assurent la pérennité de la conférence et des discussions qui l’accompagnent. Jusqu’à maintenant, deux rencontres : Mathieu Rocheleau qui discute de l’utilisation de la 3D en sciences historiques et Milad Doueihi qui part de son ouvrage sur l’humanisme numérique pour discuter plus avant des enjeux de la diversité culturelle et de la dimension politique. Les fichiers sont au bas de cette page, à écouter directement dans votre navigateur ou à télécharger.

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Autre registre : les Éditions Nota bene, éditeur spécialisé en sciences humaines, poursuivent leur pénétration du marché numérique. Parution parallèle de plusieursnouveautés au format pdf (pour l’instant), mais surtout publication rétrospective (reverse editing, ça existe ?) de titres antérieurs. Le compte est à 19 en date d’aujourd’hui, et va rapidement croissant. Et pour favoriser la diffusion de travaux plus anciens, Guy Champagne, leur directeur, fait le choix de diffuser gratuitement certains titres. Le premier à en bénéficier : l’ouvrage collectif La discursivité, dirigé par Lucie Bourassa (édition originale en 1995).

(Dénonciation de conflit d’intérêt : j’y dirige la collection « Contemporanéités ».)

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Comment je lis

comic bookC’est une réflexion que je mène assez intensément — mais intuitivement — ces jours-ci… Comment organiser mes activités de lecture? Comment gérer les supports, les annotations, les références ? J’en avais déjà bien assez avec mes propres remises en question. Et voilà Marin Dacos qui me lance, via twitter, sur l’idée d’expliquer comment je lis (il parlait de mes usages réels de lecture numérique). Belle invitation, bel exercice…

Premier élément de mise en contexte : la lecture pour une personne en études littéraires croise inévitablement les oeuvres et la documentation critique. Donc des réalités différentes viennent se rencontrer dans une même pratique de lecture. Des supports, des mises en page parfois distincts, parfois apparentés, se confrontent et s’appellent (pourquoi ne reprend-on pas les doubles colonnes pour des oeuvres en format numérique [enfin, en pdf], pratique pourtant courante dans les articles savants ?).

Seconde précision: ce texte reflète l’état de mes pratiques de lectures en ce jour… Car j’ai l’impression de constamment les modifier, de m’ajuster, de les/me transformer.

J’essaie d’organiser tout ça…

Je travaille à constituer un mode d’organisation à la fois peu contraignant mais aussi pas trop simpliste. Pour l’heure (voir ma seconde précision, plus haut!), c’est le tandem Zotero / Diigo qui a gagné.

Diigo d’abord : parce que les outils sont pratiques (bookmarklet, possibilité de RSS par tag, annotation+highlight de passages…). Ça me sert principalement pour garder des traces de blogs, d’articles, de sites qui n’ont pas à mes yeux (c’est questionnable) la même valeur scientifique que des articles de revue/collectifs/monographies. Donc facile de chercher, de regrouper par catégories, mais en même temps, pas en local sur mon ordi (pas aussi critique comme documentation à avoir toujours sous la main comme les articles savants). Ça reflète mon activité de lecture web, qui se concentre sur certains enjeux : culture numérique, peer-review, dépôts institutionnels, littérature numérique.

En lien direct : usage du petit script beta de Readability (le vieux, pas la nouvelle version liée à un drôle de système de micropaiements) ou de la fonction Lecteur de Safari (la même chose en fait, mais pas configurable, grr). Je suis de plus en plus incapable de lire un texte long en ligne sans cette mise en forme — intolérance de ma part ou signal d’une incompétence typographique crasse de la plupart des graphistes ou concepteurs de blogs ?

Zotero ensuite. C’est pourtant là ironique : je ne l’utilisais pas, parce que confiné à Firefox (que je n’utilise à peu près jamais). Mais je sentais qu’il y avait là la souplesse et le respect de certains principes qui me sont chers. Principes : stockage en local, flexibilité des tags et des classements, édition possible du style des références, extraction de métadonnées dans les pdf… Il m’a fallu attendre la version standalone (aussi buggée soit-elle) pour m’y remettre. En fait, ce n’est pas comme outil lié au web que je l’utilise, mais comme gestionnaire de bibliothèque numérique (j’entre les données de la référence et j’attache à la fiche la version située sur mon ordi).

Pour l’instant, cette bibliothèque numérique, j’essaie de la structurer et de la centraliser. Je la veux en local, sur mon ordi portable, pour accès en tout temps (pas recours à un accès cellulaire pour moi, donc le wifi me donne un accès inévitablement intermittent). Un dossier, deux grands sous-dossiers : oeuvres et documentation. Un espace en ligne (accessible par ftp — ce pourrait être un iDisk ou Dropbox, mais je préfère une ressource que je contrôle), où je synchronise ce dossier (un rsync tout simple, pour l’instant lancé manuellement pour cause de VPN à activer préalablement). Donc accès facile à cette bibliothèque sur mon iPad (par Goodreader, qui gère bien les connexions aux serveurs distants, qui permet de conserver une copie locale du iPad et qui permet d’ouvrir les fichiers dans les autres applis).

Que contient cette bibliothèque ? Des articles savants téléchargés, des œuvres au format numérique (epub, mais surtout encore pdf). De plus en plus, de la documentation que j’ai scannée manuellement. Je ne photocopie plus d’articles, trop excédé de ne pas les retrouver, de les oublier au bureau, d’en avoir trois copies mais pas sous ma main au moment où j’en ai besoin. Et les copies finissent toujours pas ne plus être propres (chiffonnées, griffonnées), donc impossible de les refiler à un collègue ou un étudiant, ou encore pour servir à constituer un recueil de textes pour mes cours. Ces frustrations expliquent que je n’annotais plus sur mes copies papier, et que cette habitude persiste aujourd’hui: je préfère conserver des extraits que je transcris/copie à côté (souvent dans les fichiers préparatoires au projet [cours, article] auquel je travaille, mais peut-être de plus en plus dans Zotero, comme ça devient facilement cherchable). Donc mes pdf, je ne les annote guère (sinon en les doublant au préalable, sauf dans Goodreader qui propose une copie du fichier pour annotation — on appelle ça se coller aux usages…).

C’est dire la place que les documents numériques prennent dans mes lectures. Et je me surprends à grogner contre un bouquin (papier) où je ne peux retrouver l’occurrence d’une phrase (par fonction recherche). L’envie de numériser « maison » plusieurs livres est constante, mais le temps manque. Et l’ouverture croissante des éditeurs en sciences humaines à distribuer des versions numériques des ouvrages me conforte dans cette nouvelle habitude.

Néanmoins, signe que je ne suis pas complètement passé au règne numérique, j’ai encore une résistance au seul achat numérique (surtout pour les oeuvres également en papier). Leur présence manque (sur le coin de la table), mais aussi, pour un poéticien comme je suis, intéressé par les poétiques du livre / du recueil et par la brièveté, leur épaisseur, le signal de leur longueur (de la progression de ma lecture) me manquent, quels que soient les stratagèmes utilisés pour compenser cette perte (ou ce déplacement). Mais les avantages des versions numériques demeurent grands, l’appel est fort…

Je ne sais pas si j’ai répondu à la commande de Marin. Mes lectures numériques sont multiples, quotidiennes, presque dominantes (on reste toujours, comme littéraires, avec des bibliothèques énormes). Mais difficile de ne pas voir les choses se transformer : voyant le nouveau Iégor Gran (chez POL) en version numérique sur ePagine, j’ai eu l’impulsion d’acheter le fichier pour poursuivre ma lecture, commencée dans les premières pages promotionnelles. J’ai résisté. Pour cette fois.

(image : « Comic…book, page 8 », paperbackwriter, licence CC)

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