Ask for money, you’ll get advice — le sort prévisible de Québec Horizon Culture ?

Clément nous offre un compte rendu précieux de la rencontre préparatoire (non officiellement,  mais techniquement oui) à Québec Horizon Culture, à savoir le débat Participe présent tenu hier au Musée de la civilisation, qui portait sur cette culture au centre de l’événement, mais sur laquelle il n’y a pas nécessairement consensus, quoi qu’on veuille bien projeter.

Ce qui me frappe, c’est la lecture un peu ébahie des acteurs du milieu (là on en avait, même si ça reste encore de la strate de la gouvernance, mais en plus rapprochée) devant la machine politique qui se met en place pour l’événement Québec Horizon Culture. Une machine à mobiliser de force le milieu des affaires pour l’impliquer dans la survie du momentum culturel que Québec 2008 a pu créer — d’ailleurs un peu à l’étonnement de tous. Et les constats d’un arrimage problématique fusent : qu’en est-il de la médiation culturelle ? du monde de l’éducation ? de la diversité culturelle ? d’une vision qui dépasse le simple buzz pour un SoHo-St-Roch techno-bouillonnant ?

Les questions et observations de Clément sont fort justes, notamment sur le fait qu’il faille trouver à susciter un engagement. Mais ma plus grande crainte, c’est qu’à vouloir jouer à jeu ouvert, on perde nos atouts — ou qu’on perde le goût de jouer… Ask for moneu, you’ll get advice : le milieu des affaires entrera-t-il vraiment dans la danse, avec une invitation aussi explicite à mettre la main dans leur poche ? Pour le dire autrement : le sentiment d’appartenance, l’engagement, le sens du devoir envers la communauté est-il suffisamment fort chez les gens d’affaires de Québec pour permettre de contrer cet appel du pied un peu trop indélicat à leur endroit ? Ou certains comprendront-ils qu’il y a une rentabilité liée au geste (cf. cette allusion de Simon Brault aux fiscalistes qui devraient repérer l’avantage de l’investissement culturel) ? Ou simplement encore certains auront-ils le sentiment qu’on ne fait encore que discuter ? J’aimerais croire à une forte mobilisation, à des scénarios optimistes, mais je crains pour l’instant que des ordres de discours peu compatibles se rencontrent : des visionnaires par ci, des politiques par là, des acteurs du milieu encore là, puis des gestionnaires tout autour.

Pour le moment, l’idée qui me vient à l’esprit, ce serait de faire un témoignage sous forme de récit — d’incarner mon propos à travers des personnages et des lieux, dans une ville imaginée; inspirante. J’aurais envie d’aller raconter une courte histoire…

Raconter une histoire pour susciter l’engagement : ça peut être une avenue, oui, je te suis là-dessus Clément. En autant qu’il y ait de l’espace pour entendre un tel discours, que le chantier du 16 février soit véritablement ouvert (et non simplement du speed-dating de mécénat forcé).

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La culture à Québec… et notre engagement alors ?

* Lettre ouverte à mes collègues universitaires : CRILCQ (site U.Laval) et filière e-culture, ITIS *

Chers amis, chers collègues,

L’événement a été annoncé, il se tiendra dans quelques semaines à peine, là-bas, en dehors de nos murs. Québec Horizon Culture. On y parlera de culture, de culture… et d’économie. Le plan d’action, vous y avez jeté un œil ? Il me paraît sinon peu inspirant, à tout le moins bien vertueux.

De quoi parle-t-on ?

Heureux site qui voit enfin le jour… mais on y parle davantage d’économie que de culture. Parmi les quatre textes de la section Documentation du site, trois sont liés aux impacts économiques de la culture et aux modalités d’aide financière dans le cadre d’un partenariat CALQ-Conférence régionale des élus de la Capitale-nationale. Et dans le plan d’action, la question du soutien (entendre : financier) et de la création d’emploi accapare directement ou indirectement la plus large part du discours.

Loin de moi l’idéalisme d’une culture qui puisse exister sans infrastructures, sans soutien gouvernemental. Le financement est chose nécessaire, mais selon quelles orientations ? favoriser un développement général, au petit bonheur ?

Je ne vois pas de vision dans ce débat, dans son balisage actuel (la liste des partenaires est quelque peu étonnante, encore une fois par la dominante commerce et gouvernance). Quelle orientation pour un développement culturel à Québec ? Pour le dire autrement : qu’y aura-t-il de singulier dans cet élan insufflé à la culture dans la ville de Québec, qui la distinguera des initiatives culturelles de toute autre grande ville de la province, du pays ?

L’image du tabouret à trois pattes est révélatrice : créer un bouillonnement en rapprochant des acteurs complémentaires (financièrement parlant). Est-ce là la seule visée de l’événement ?

Qui parlera ?

Dans ce débat à venir, je me demande qui sera là, qui parlera… où sont les acteurs du milieu culturel dans la liste des partenaires (mis à part le Conseil de la culture, organisme à visée de représentation des artistes et organismes culturels) ?

De façon corollaire (d’où cette lettre ouverte), quelle place souhaitons-nous prendre comme universitaires dans cette économie de la culture (c’est de ça, apparemment, dont il est question) ? Nous revient-il simplement de préparer de nouvelles générations à s’investir dans cette culture développée à grands renforts de partenariats avec le privé ? Ou la recherche sur la culture doit-elle s’inscrire intimement dans cette réflexion et dans ce développement ?

La question est faussée et annonce ma position : je ne crois pas qu’on doive perpétuer l’image des chercheurs dans leur tour d’ivoire. Mais comment arrimer la réflexion universitaire sur la culture à un milieu en pleine effervescence ? Comment jouer, comme universitaires et intellectuels, un rôle dans la cité lorsqu’il est question de développement culturel ? On nous donne, par cet événement, un possible droit de parole ; est-ce que nous nous en prévaudrons ?

Il faut en parler, de toute évidence. Je me joins à cet appel à participation lancé par Clément. S’engager dans la réflexion, dans la discussion, au moins pour faire le bilan de notre engagement dans la culture de notre milieu. À vous la parole.

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De la règle ou du goût du point-virgule

2345403415_5606512d85_m.jpgJ’ai toujours eu un rapport de fascination avec le point-virgule ; me voilà dans la lignée de John Irving et d’Herman Melville… On ajoute une dose de contextualisation anglophone (sur l’usage dégénéré de la ponctuation en anglais) et ça nous donne ce petit article savoureux :  « Sex and the semicolon ».

the punctuation conversation has shifted its focus from the apostrophe to a more subtle and debatable punctuation mark: the semicolon.

The credit probably belongs to Trevor Butterworth, who in 2005 – citing Truss as partial inspiration – wrote a 2,700-word essay on the semicolon in the Financial Times. Butterworth, who had worked in the States, wondered why so many Americans shared Donald Barthelme’s sense that the mark was « ugly as a tick on a dog’s belly. » His answer: As a culture, we Yanks distrust nuance and complexity.

(photo : « ti;!;!;! », xueexueg, licence CC)

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Numériques de souche ou de formation ?

bébé ordiLe récent article d’Ana, sur la place de la technologie dans les musées, me ramène à des articles du mois de décembre que j’avais marqués d’un drapeau — toute une polémique sur les digital natives et les digital immigrants. La question que pose Ana est celle de l’accommodement que les musées pourraient faire à l’intention de leur jeune public, apparemment des digital natives (des gens ayant toujours vécu avec la technologie dans leur vie, et donc avec une relation à leur environnement qui dépend à peu près totalement de l’interface de la technologie). Elle place sa réflexion dans le contexte d’une étude qui vient remettre en question ce lieu commun :

Tout ce texte, pour en venir à vous partager une étude de la British Library au sujet de la Google generation : Information behaviour of the researcher of the future (pdf).

Ce document présente tant les idées reçues au sujet de cette génération Internet que le résultat de l’étude. Plusieurs perceptions que nous développions de façon « automatique » deviennent des mythes et c’est pour le mieux de l’avenir des musées. À la lecture de l’étude, j’en conclus qu’il n’est pas automatique que les jeunes d’aujourd’hui intègrent tous les tenants et les aboutissants de cette nouvelle ère numérique, même s’ils en sont natifs et probablement des usagers plus fluides que les plus âgés.

Prudence donc, car cette impression de la maîtrise quasi-innée de la technologie doit être révisée. Le débat a été lancé par Henri Jenkins (sous une forme nuancée, parlant du danger d’oublier les variations d’accessibilité aux technologies, d’un digital divide). Puis il a été doublement relayé par Siva Vaidhyanathan, qui insiste beaucoup (trop) sur la non-pertinence de la notion de génération, mais qui se rattrape en disant qu’il n’y a rien à gagner à généraliser cette apparente opposition entre digital native et digital immigrant.

Ce qui apparaît se démarquer, c’est le mythe autour de l’utilisation des technologies. Et c’est un mythe dont l’inexactitude se vérifie au quotidien (j’en témoigne personnellement, voyant mes étudiants faire un usage commun de Facebook mais ne sachant toujours pas faire un saut de page dans un traitement de texte). Il faut remettre les pendules à l’heure sur le rapport avec la technologie, en particulier sur la complexité de ce rapport.

1. Il paraît évident qu’il y a une aisance qui vient avec un médium lorsque celui-ci a été fortement présent au moment des années d’apprentissage les plus fulgurantes (fin de l’enfance et première moitié de l’adolescence — un psycho-cognitiviste dans la salle pour confirmer ?). L’analyse de plusieurs générations au vingtième siècle l’illustrerait sûrement avec force.

2. Il faut en revanche admettre qu’il n’y a aucun caractère inné à l’usage des technologies. Certaines interfaces tablent davantage sur des processus cognitifs courants et réduisent le gap technologique, oui. Mais il y a toujours une étrangeté à apprivoiser, une distance à franchir. Et des apprentissages sont nécessaires.

3. À l’image des objets qui nous intéressent, dont le rythme de renouvellement est effarant, tel est le rythme auquel se trouve confrontée notre capacité à adapter nos connaissances et nos compétences technologiques. Celles-ci sont sujettes à un dépassement imminent, à une rapide caducité. Et ce, que nous soyons (franchement / relativement) jeunes ou moins jeunes.

Dans ce contexte, il s’impose d’insister pour la reconnaissance (commune, par nos institutions scolaires, par nos employeurs) du rôle fondamental joué par la computer-literacy (à généraliser en une techno-literacy), qu’il faudra conséquemment maintenir, alimenter et bonifier.

(photo : « Naar Hopla kijken », Inferis, licence CC)

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Wikipedia et son Moyen Âge

The work of a scribeÀ travers un épique récit de l’histoire de Wikipédia (mais surtout de ses propres péripéties), Nicholson Baker fait le compte rendu de l’ouvrage Wikipedia: The Missing Manual
de John Broughton. Approche jubilatoire : récit des premières expérimentations, traces des différentes cultures ayant eu cours au sein de ce projet, puis relation des tentatives de Baker lui-même de s’inscrire dans la communauté des éditeurs de Wikipédia.

After bovine hormones, I tinkered a little with the plot summary of the article on Sleepless in Seattle, while watching the movie. A little later I made some adjustments to the intro in the article on hydraulic fluid—later still someone pleasingly improved my fixes. After dessert one night my wife and I looked up recipes for cobbler, and then I worked for a while on the cobbler article, though it still wasn’t right. I did a few things to the article on periodization. About this time I began standing with my computer open on the kitchen counter, staring at my growing watchlist, checking, peeking. I was, after about a week, well on my way to a first-stage Wikipedia dependency.

Et tranquillement Baker de se révéler un inclusionniste dans l’âme, questionnant l’attitude de plusieurs visant à sabrer dans les pages qui ne sont pas justifiées par un sujet notable.

At the same time as I engaged in these tiny, fascinating (to me) « keep » tussles, hundreds of others were going on, all over Wikipedia. I signed up for the Article Rescue Squadron, having seen it mentioned in Broughton’s manual: the ARS is a small group that opposes « extremist deletion. » And I found out about a project called WPPDP (for « WikiProject Proposed Deletion Patrolling ») in which people look over the PROD lists for articles that shouldn’t be made to vanish. Since about 1,500 articles are deleted a day, this kind of work can easily become life-consuming, but some editors (for instance a patient librarian whose username is DGG) seem to be able to do it steadily week in and week out and stay sane. I, on the other hand, was swept right out to the Isles of Shoals. I stopped hearing what my family was saying to me—for about two weeks I all but disappeared into my screen, trying to salvage brief, sometimes overly promotional but nevertheless worthy biographies by recasting them in neutral language, and by hastily scouring newspaper databases and Google Books for references that would bulk up their notability quotient. I had become an « inclusionist. »

Et on entre là dans un monde virtuel, plus près du jeu que de la communauté scientifique (car ça se révèle un terrain de jeu pour querelles et jeux de pouvoir typiques de l’enfance. Se pose la question du canon (« Still, a lot of good work—verifiable, informative, brain-leapingly strange—is being cast out of this paperless, infinitely expandable accordion folder by people who have a narrow, almost grade-schoolish notion of what sort of curiosity an on-line encyclopedia will be able to satisfy in the years to come. ») ; émerge la problématique de la définition de ce projet, dont Baker rappelle qu’il est en fait mené par un nombre très restreint d’éditeurs qui imposent leur vision d’une encyclopédie libre et ouverte — pourtant régie par des règles très sévères, pourtant constamment patrouillée par des éditeurs et des logiciels évitant sa propre implosion en raison de modifications humoristiques ou malveillantes.

Le plus stimulant, outre la prose jubilatoire de Baker, c’est certainement le mode d’autorégulation de cette communauté, qui est à l’évidence game-driven — tiens, un peu comme l’est le Nomic, mais avec une dose de responsabilité culturelle et politique, avec un sens du devoir.

Ce qui nous manque pour l’instant, c’est encore une lecture comparée des dynamiques sociales propres aux sphères linguistiques (on ne parle jamais que du Wikipédia de langue anglaise). Comment se gèrent les tensions colonialistes dans la sphère hispanophone? Quelle vision du monde est proposée par des encyclopédies issues de langues qui ne sont pas parmi les trois ou quatre lingua franca mondiales?

Baker conclut son expérience comme il clôt son texte :

I think I’m done for the time being. But I have a secret hope. Someone recently proposed a Wikimorgue—a bin of broken dreams where all rejects could still be read, as long as they weren’t libelous or otherwise illegal. Like other middens, it would have much to tell us over time. We could call it the Deletopedia.

(via Willard McCarty, Humanist) (photo : « The work of a scribe », glynnish, licence CC)

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