Nulle part

La route des vacances m’a conduit hors de mon horizon habituel. D’où cette réflexion que je laissais sur twitter :

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Et surtout de lire, dans les heures suivantes, le début de Cité de verre de Paul Auster, où Quinn, le protagoniste qui finira par s’évanouir, par disparaître, décrit son rapport avec la ville de New York :

Ses promenades les plus réussies étaient celles où il pouvait sentir qu’il n’était nulle part. Et c’était finalement tout ce qu’il avait jamais demandé aux choses : être nulle part.

Rapport avec l’espace aux antipodes, apparemment, mais la proposition d’Auster mobilise avec force la question de l’invention, de la littérature. En lien avec l’identité, avec la singularité, avec la saisie du monde. La disparition n’est pas un luxe offert à tous…


Pour le plaisir, paragraphe complet d’où est tirée la citation d’Auster :

New York était un espace inépuisable, un labyrinthe de pas infinis, et, aussi loin qu’il allât et quelle que fût la connaissance qu’il eût de ses quartiers et de ses rues, elle lui donnait toujours la sensation qu’il était perdu. Perdu non seulement dans la cité mais tout autant en lui-même. Chaque fois qu’il sortait marcher il avait l’impression de se quitter lui-même, et, en s’abandonnant au mouvement des rues, en se réduisant à n’être qu’un œil qui voit, il pouvait échapper à l’obligation de penser, ce qui, plus que toute autre chose, lui apportait une part de paix, un vide intérieur salutaire. Autour de lui, devant lui, hors de lui, il y avait le monde qui changeait à une vitesse telle que Quinn était dans l’impossibilité de s’attarder bien longtemps sur quoi que ce soit. Le mouvement était l’essence des choses, l’acte de placer un pied devant l’autre et de se permettre de suivre la dérive de son propre corps. En errant sans but, il rendait tous les lieux égaux, et il ne lui importait plus d’être ici ou là. Ses promenades les plus réussies étaient celles où il pouvait sentir qu’il n’était nulle part. Et c’était finalement tout ce qu’il avait jamais demandé aux choses : être nulle part. New York était le nulle part que Quinn avait construit autour de lui-même et il se rendait compte qu’il n’avait nullement l’intention de le quitter à nouveau.

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4 réflexions au sujet de “Nulle part”

  1. il faut que je pense à t’apporter la « Cité des mots » d’Alberto Manguel, conférences de Toronto, avec même approche à partir d’une histoire Inuit (qui me convient d’ailleurs mieux que celle un peu light de l’excellent Paul)

  2. Un peu light, tu dis ? 🙂 En effet, j’ai un peu eu l’impression d’un changement de ton après la moitié du roman, avec la sensation d’une descente inéluctable, mais pas nécessairement « cohérente » avec la première partie. Quant à Manguel, je devrais réussir à le trouver ici !!

  3. Tiens, il me semble reconnaître le passage que cite Philippe Dupuy dans l’excellent « Journal d’un album », bande-dessinée co-écrite avec Charles Berberian. Je ne l’ai pas sous la main pour vérifier mais je ne crois pa sme tromper…

  4. Dupuy semble aimer citer Auster, d’après ce que je trouve sur le web… il faut dire que la prose d’Auster est très proche de la BD : poses des personnages, décors campés, événements découpés…

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